La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Présents parallèles

Présents parallèles - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre La Reine Blanche
Jacques Attali.

La Reine Blanche / Présents parallèles / de Jacques Attali / mes Christophe Barbier

Publié le 30 août 2016 - N° 246

Et si l’Allemagne avait gagné la guerre ? À partir de cette hypothèse, Jacques Attali construit une pièce labyrinthique. Un voyage entre passé et présent imaginaire. Christophe Barbier signe avec Présents parallèles sa première mise en scène professionnelle.

Pièce en trois actes, Présents parallèles commence dans un présent fictif dirigé par les nazis, se poursuit dans un 1943 réel et s’achève dans un présent démocratique. Que ce voyage temporel dit-il de la France contemporaine ?

 Jacques Attali : Si l’écriture de cette pièce a d’abord été pour moi un jeu intellectuel, un exercice de style, elle est aussi très sérieuse. C’est une critique du pouvoir actuel et de l’esprit de soumission des élites. De sa paresse et de sa veulerie. Ce que je dis dans le deuxième acte de la compromission des élites pendant l’Occupation existe encore aujourd’hui, même si c’est moins visible.

« C’est une critique du pouvoir actuel et de l’esprit de soumission des élites. »Jacques Attali

 Christophe Barbier : Pour moi, Présents parallèles est à la fois une critique du gouvernement actuel et une mise en garde. L’uchronie du premier acte nous interroge : que se serait-il passé si Roosevelt était mort trois mois plus tôt ? Notre démocratie repose sur un heureux hasard. Sur une fragilité dont il faut avoir conscience pour la protéger.

 Quid de l’Europe ?

 C.B. : Sans ambiguïté, c’est une pièce sur la crise de l’Europe. Dans le deuxième acte très documenté, où l’on apprend que le premier était l’extrait d’une pièce écrite par le grand-père du personnage féminin, on retrouve des propos similaires à ceux que l’on peut tenir aujourd’hui. L’abandon de certaines populations, l’égoïsme triomphant, le populisme de l’époque… Tout cela est superposable à l’époque actuelle.

« Sans ambiguïté, c’est une pièce sur la crise de l’Europe. » Christophe Barbier

 Présents parallèles est-il un prolongement de votre activité à L’Express ?

 J.A. : J’ai de nombreuses vies différentes et je ne cherche pas forcément à les lier entre elles. Cela dit, la réflexion sur le temps traverse mon travail. Dans L’Express et dans bon nombre de mes essais, je m’intéresse surtout au futur. À sa prédiction. Comme dans mes deux pièces qui ont été jouées à ce jour – Les Portes du ciel (1999) et Du cristal à la fumée (2008) -, Présents parallèles a un lien fort au passé. Mais parler du passé, n’est-ce pas aussi parler de l’avenir ?

 C.B. : Je vois la pièce de Jacques Attali comme un texte éminemment politique. Donc oui, elle fait écho à mon travail journalistique. Mais seulement à une partie de celui-ci : celle qui consiste à faire des hypothèses à partir d’événements présents. À défricher l’imaginaire. En revanche, la dimension de jugement du commentaire politique est absente de Présents parallèles. Et heureusement. Le théâtre n’est pas là pour donner des réponses.

 Avec le théâtre de l’Archicube, troupe de l’École Normale Supérieure que vous dirigez, vous travaillez plutôt sur un répertoire classique. Le théâtre professionnel est-il pour vous si différent du théâtre amateur, qu’il impose un autre répertoire ?

 C.B. : Pour dire la différence entre ces deux manières de faire du théâtre, j’aime comparer la première à du patin à glace et la seconde à de la spéléologie. En théâtre amateur, on cherche à maîtriser différents outils pour divertir le public. Chez les professionnels on va chercher plus loin ; on peut par exemple faire du théâtre politique, et inviter le public à la réflexion. Ce que je ne fais pas ou peu avec le Théâtre de l’Archicube. J’ai toutefois monté l’an dernier une première version de la pièce de Jacques Attali, qui s’intitulait alors Coups de théâtre.

En quoi la seconde version diffère-t-elle de la première ?

 J.A. : L’écriture théâtrale, selon moi, doit passer à la moulinette des comédiens. J’ai donc assisté à toutes les lectures des comédiens que Christophe et moi avons choisis ensemble – Xavier Gallais, Marianne Basler et Jean Allibert – et il m’a semblé indispensable d’ajouter à la dimension politique et ludique de ma pièce une part d’intime. Si les deux premiers actes demeurent avant tout politiques, le dernier explore davantage les relations entre les trois personnages. Nous sommes dans un triangle amoureux ambigu.

 C.B. : Triangle surnaturel aussi, car il est lié au mélange des temps. Présents parallèles est un ruban de Moebius, aussi bien dans sa composante intime que politique.

 À travers une triple mise en abyme qui fait penser à Pirandello – cité d’ailleurs dans le troisième acte – Présents parallèles est aussi une critique acerbe du milieu théâtral.

 J.A. : Le théâtre est hélas si intimement lié au politique que rares sont les artistes qui osent prendre des risques. Ce que dit « Il » au premier acte reflète tout à fait ce que je constate : « Y’a que ça qui marche, les bonnes bouses de boulevard ».

 C.B. : C’est aussi pour cette dimension incisive que j’aime cette pièce. Elle rejoint d’une certaine façon mon travail de critique théâtral à L’Express. Je partage le constat de Jacques, mais je reste optimiste : si la recherche de moyens a toujours généré de la lâcheté et de la facilité au théâtre, il s’y produit aussi quelques fois des miracles. Il ne faut pas rechercher la pureté au théâtre, car les diamants y naissent de la médiocrité.

 

Propos recueillis par Anaïs Heluin

 

A propos de l'événement

Présents parallèles
du mercredi 7 septembre 2016 au jeudi 3 novembre 2016
Théâtre La Reine Blanche
2 Passage Ruelle, 75018 Paris, France

du mardi au samedi à 20h45. Tel : 01 42 05 47 31.

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