La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2011 Entretien / Benoît Duteurtre

Pour une culture de terrain fondée sur la vitalité de la création

Pour une culture de terrain fondée sur la vitalité de la création - Critique sortie Avignon / 2011
Crédit : C. Hélie / Gallimard Légende : Benoît Duteurtre, directeur de Musique nouvelle en liberté

Publié le 10 juillet 2011

L’écrivain et critique musical né en 1960 – il vient de publier le roman L’Eté 76 (Gallimard) -, a fondé en 1991 avec le compositeur Marcel Landowski l’association Musique nouvelle en liberté, dont l’objectif est d’aider à la diffusion de la musique contemporaine.

« Le désengagement de l’État fait reposer la politique musicale sur les humeurs de chaque élu »
 
Quels rapports Musique nouvelle en liberté entretient-elle avec les politiques ?
Benoît Duteurtre : Musique nouvelle en liberté est une association subventionnée. Nous dépendons de ces subventions qui viennent, pour les plus importantes, de la Ville de Paris et de l’État. C’est grâce à ces fonds que nous pouvons aider quantité d’orchestres et de musiciens à proposer des créations… Le contact avec les politiques et l’administration culturelle, pour défendre les objectifs de l’association auprès de nos tutelles, est une part importante de mon travail.
 
Le changement de majorité politique à Paris en 2001 a-t-il eu une incidence sur le fonctionnement de votre association ?
B. D. : Pas vraiment. Jean-Claude Casadesus [président de Musique nouvelle en liberté] et moi entretenons d’excellents rapports avec Bertrand Delanoë, même si l’association était née d’une autre rencontre, celle de Marcel Landowski avec Jacques Chirac.
 
N’y a-t-il pas de différence politique décelable ?
B. D. : Non. Après, il y a toujours des affinités avec tel ou tel responsable politique ou administratif, et donc les choses se font plus ou moins rapidement. Quand certaines personnes changent, il faut parfois ré-expliquer notre mission. Et si nous sentons que l’un des partenaires – ville ou État – est un peu réticent, nous devons parfois nous appuyer sur l’autre pour consolider nos activités. C’est un peu ce qui s’est passé à l’arrivée de la gauche au pouvoir à Paris : dans la nouvelle équipe municipale, tout le monde ne comprenait pas forcément l’utilité de Musique nouvelle en liberté pour la ville. Heureusement, au même moment, nous avons obtenu un engagement plus fort de l’État, ce qui était d’ailleurs tout à fait légitime puisque jusqu’alors c’était la Ville de Paris qui portait l’essentiel de l’effort financier. Et cet effort a également motivé la Ville pour maintenir le sien.
 
Parfois, les élus voient surtout dans la culture un outil de communication…
B. D. : Nous sommes tout le contraire d’un outil de communication. Notre activité n’est pas extrêmement valorisante en termes de communication puisqu’on fait un travail très disséminé sur le terrain, dans un domaine pointu qui est celui de la musique contemporaine. Nous sommes à l’opposé de la politique festive, très prisée aujourd’hui par les uns et par les autres.
 
Vous parlez de « culture festive ». N’est-ce pas là une ligne de partage entre gauche et droite ?
B. D. : La culture festive est peut-être plus « de gauche ». Ça a commencé avec Jack Lang et la Fête de la musique ; la Mairie de Paris, avec Bertrand Delanoë et Christophe Girard a depuis développé ce type d’actions. La gauche est parfois plus sensible à une culture présentée comme plus démocratique, qui est en tout cas davantage une culture du spectaculaire. Mais aujourd’hui, cette attitude est aussi présente à droite. Quand le Ministère de la Culture lance la « culture pour chacun », on a l’impression de retrouver ce genre de griseries un peu festives censées flatter l’égo de chaque individu et de chaque communauté, dans la continuité d’une conception « languienne » de la culture. Globalement, en simplifiant beaucoup, la droite semble plus attachée aux grandes institutions prestigieuses et la gauche plus sensible au travail de terrain auprès des publics.
 
Les collectivités territoriales sont-elles devenues un “contre-pouvoir“ culturel ?
B. D. : Dans le domaine qui est le nôtre, notre point de vue est que, sauf exception, ce n’est pas l’État, ni les régions, ni les communes qui sont le mieux placés pour savoir à qui et où on doit passer commande ou  programmer une œuvre contemporaine, mais ce sont les musiciens, ceux qui jouent. C’est aussi la seule façon d’éviter que la musique contemporaine soit prise en mains par telle ou telle chapelle et la diversité des interprètes garantit à la plupart des esthétiques de trouver leur place.
 
Aidez-vous les orchestres à négocier avec leurs tutelles la présence de musique contemporaine dans leurs programmes ?
B. D. : Nous n’avons pas vraiment part à ces discussions, qui relèvent du dialogue normal des institutions avec leurs tutelles. De nombreux élus, dans les régions et dans les villes, ont suffisamment le sens du service public pour être convaincus qu’il faut donner une part à la création. Sans nous attendre, l’Orchestre de Lille a toujours eu une politique de commandes et de créations et il a toujours été soutenu par la région Nord-Pas-de-Calais dans ce sens-là. Le problème vient plutôt du désengagement de l’État qui fait reposer beaucoup plus la politique musicale sur les humeurs de chaque élu par rapport à la musique.
 
Vous êtes donc pour un renforcement du rôle de l’État ?
B. D. : Quand Marcel Landowski a créé la direction de la musique, il entendait répondre au désengagement massif des villes. L’idée était d’inciter les élus locaux à soutenir leurs institutions musicales. Or, aujourd’hui, l’État va parfois jusqu’à inciter les régions à se désengager (fusion de maisons d’opéra, mise en place de structures plus souples…). Ce n’est pas normal. Et je pense que l’État, les tutelles devraient poser un certain nombre de règles simples – donner des œuvres contemporaines et les faire circuler, par exemple – en contrepartie de leur financement.
 
Propos recueillis par Jean-Guillaume Lebrun

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