La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Gros Plan

Festival TransAmériques / Montréal

Festival TransAmériques / Montréal - Critique sortie Théâtre Montréal
Lifeguard de Benoît Lachambre. Crédit : Karolina Miernik

DE RETOUR DE MONTREAL

Publié le 7 juin 2017 - N° 255

Pour sa 11ème édition, le Festival TransAmériques s’est associé au 375ème anniversaire de Montréal. Un mariage qui, à travers 27 spectacles de danse et de théâtre nord-américains et internationaux, prouve la santé artistique de la capitale du Québec et la pertinence de son regard sur l’époque. Loin de verser dans la célébration facile, le FTA se fait en effet l’écho d’une forte inquiétude quant à la marche du monde.

Fouiller dans la ville. Porter un regard amoureux sur chacun de ses quartiers, y compris les plus éloignés de la fameuse Place des Arts où se concentrent les plus grands équipements culturels de la ville ainsi que les nombreux festivals qui rythment ses saisons. En choisissant d’inviter la compagnie allemande Rimini Protokoll pour ouvrir la 11ème édition du Festival TransAmériques, Martin Faucher, directeur artistique du festival, annonçait clairement cette intention. Elle fut un des fils rouges d’une programmation éclectique et de haut vol, à la hauteur de cet événement réputé être le plus grand festival de théâtre et de danse d’Amérique du Nord

Portrait d’une ville

Réactivation d’un processus artistique déjà utilisé dans plusieurs capitales comme Londres, Paris et Bruxelles, 100 % Montréal du collectif Rimini Protokoll a fortement résonné parmi le public et les festivaliers. Si bien que deux jours après la fin du spectacle, au moment de notre arrivée, les paroles des cent Montréalais de toutes origines et classes sociales qui ont participé au spectacle étaient encore dans toutes les bouches. De même que celles qu’ont recueillies les Québécois Anaïs Barbeau-Lavalette et Émile Proulx-Cloutier dans Centre-Sud, ancien quartier ouvrier de Montréal, pour leur pièce documentaire Pôle sud. Comme en France, le milieu théâtral québécois commence à pointer la faible présence sur les plateaux des personnes éloignées de la culture. En particulier des nombreuses communautés autres que blanches et francophones qui cohabitent à Montréal.

« Le 375ème anniversaire de Montréal m’a notamment poussé à réfléchir à la place des premières nations à Montréal et à constater qu’elles y sont quasi-absentes », déplore surtout Martin Faucher. Plusieurs artistes ont alors témoigné lors du FTA de cette disparition liée au passé colonial du pays. Descendante par son père des peuples Cris et Métis, Daina Ashbee dresse ainsi dans son solo Pour interprété par Paige Culley un parallèle inattendu entre menstruations et chasse au phoque. Tandis que dans Lifeguard créé en juin 2016 aux Ateliers de Paris de Carolyn Carlson, le chorégraphe et performeur Benoît Lachambre imagine une sorte de rituel dansé avec le public sur une musique en grande partie autochtone.

Étoiles noires du Québec

Comme ce spectacle, nombreux sont ceux présentés au FTA qui bouleversent les rapports classiques entre artistes et public. Une manière, pour Martin Faucher, d’« adresser une invitation à l’Autre, de lui redonner une responsabilité ». D’apporter peut-être un début de remède au constat d’un manque de repères qui traverse bon nombre de créations de ce FTA, sur lesquelles semble entre autres encore peser – sans que ce soit formulé de manière explicite – l’échec des référendums de 1980 et 1995 sur la souveraineté du Québec. Parmi elles, Runaway Girl de la chorégraphe et danseuse Jocelyne Monpetit qui convoque l’Histoire à travers une délicate performance intimiste située dans sa maison d’enfance du ghetto McGill. Un lieu où s’étaient installés dans les années 1960 les tenants de la contre-culture. « Ceux qu’on appelait les ‘’draft dodgers’’, ces Américains rebelles qui fuyaient la guerre du Vietnam », précise-t-elle dans sa feuille de salle. Le poids du passé plane avec grâce sur le FTA. Avec une certaine mélancolie aussi, que l’on retrouve dans plusieurs autres propositions.

C’est le cas dans Some hope for the bastards du chorégraphe, danseur, éclairagiste et musicien Frédérick Gravel, que l’on pourra voir la saison prochaine au Théâtre de la Bastille avec deux spectacles. Très attendue par un public habitué à la présence de l’artiste lors du festival et en saison, cette pièce rock avec douze interprètes est selon ses propres termes « une fête empreinte de mélancolie. Une célébration tragique sur la perte de toute illusion ». La singularité du langage gestuel développé par le chorégraphe offre toutefois la distance nécessaire à la bonne réception de l’œuvre. À l’ouverture sinon de perspectives politiques, du moins d’une respiration porteuse d’espoirs.

Toujours du côté québécois, l’infatigable Emmanuel Schwartz, qui sort à peine du Tartuffe de Denis Marleau et de la tournée parisienne de l’excellente trilogie de Mani Soleymanlou, a quant à lui partagé ses doutes avec son compatriote Francis La Haye et avec le Belge Benoît Gob dans Exhibition – L’exhibition. Soit une allégorie du geste créateur sous la forme d’une délicieuse autofiction portée par une voix off qui met à distance le tragique avec humour et autodérision. « Il est vrai que l’air ambiant est infect, et que l’on a l’impression de respirer un air volé. Mais cela ne nous enlève pas le droit à la joie. Au contraire, la rechercher sur scène peut être une forme de résistance », affirme l’artiste habile à naviguer entre les registres aussi bien qu’entre les disciplines.

Rendez-vous des opprimés

Si, selon Martin Faucher, « la création chorégraphique québécoise a su se mettre au diapason des esthétiques internationales et s’adapter aux contraintes économiques locales plus vite que le théâtre », ce dernier n’a donc pas été en reste. Sous des formes très diverses, il s’inscrit souvent dans la filiation de la mise en scène des marges pratiquée par plusieurs pionniers de la dramaturgie québécoise à partir des années 70. Par Michel Tremblay bien sûr, Denise Boucher, Pol Pelletier, Michel-Marc Bouchard ou encore René-Daniel Dubois, auteur du fameux Being at home with Claude, connus pour leurs pièces sur la condition homosexuelle et féminine. Peu portés sur ce répertoire – on peut lire à ce sujet l’excellente revue Jeu du mois de juin 2017 – les artistes de cette 11ème édition du FTA traitent des oppressions qui leur importent en s’emparant de matériaux plus contemporains ou en créant les leurs de toutes pièces.

Dans La fureur de ce que je pense, Marie Brassard choisit ainsi de travailler sur plusieurs textes de Nelly Arcan, dont elle fait un montage remarquable. Enfermées dans des cages en verre abritant des décors variés, six comédiennes et une danseuse font résonner avec force la langue de l’auteure québécoise. Sa critique violente d’une société qui impose selon elle à la femme une perfection inatteignable. Créée en 2013 à l’Espace Go – lieu majeur de la création contemporaine montréalaise –, la pièce n’avait jusque-là été jouée que quelques dates. Gageons que le FTA, dont la metteure en scène est elle aussi une habituée, lui offrira la seconde vie qu’elle mérite.

Montréal, théâtre du monde

À côté des créations québécoises qui occupent environ la moitié de la programmation, le Festival TransAmériques a invité comme chaque année plusieurs grands noms de la danse et du théâtre contemporains étrangers. Le Polonais Krystian Lupa était l’un des plus attendus. Créée au Festival d’Avignon en 2015, sa mise en scène de Des arbres à abattre de Thomas Bernhard représentait pour Martin Faucher une des plus grandes prises de risque du festival. « Autant pour la difficulté à organiser la venue de son équipe que du fait de la durée du spectacle. 4h40 pour un public nord-américain, c’est énorme ! Nous n’avons pas le même rapport au temps que le public occidental, et je trouve important de sortir parfois de notre culte de l’efficacité par le théâtre ». Accaparés par les créations québécoises, nous n’avons pu juger de la réception de ce chef-d’œuvre. Les échos captés au festif et convivial Quartier Général du festival, près de la Place des Arts, étaient toutefois des plus enthousiastes.

Nous passerons sur Antoine et Cléopâtre de Tiago Rodrigues, 7 Pleasures de la chorégraphe danoise Mette Ingvartsen, Conférence de choses de la compagnie suisse 2b, Caída del cielo de l’Andalouse Roció Molina ou encore sur Tordre de Rachid Ouramdane, que nous avons la chance de voir souvent sur nos scènes. Notons seulement au passage l’attraction du FTA pour des artistes à renommée internationale. Sans parler des talents émergents, auxquels le festival ouvre ses portes sans marquer de hiérarchie entre les uns et les autres. Ni dans les programmes ni dans le choix des salles. Le jeune collectif français La Horde a ainsi présenté en première mondiale dans le beau Théâtre Rouge du Conservatoire sa nouvelle création, TO DA BONE. Une pièce interprétée par dix danseurs de jumpstyle, danse survoltée née et diffusée via les réseaux sociaux, que nous aurons plaisir à découvrir en région parisienne la saison prochaine. Tout en auscultant les problèmes locaux, le FTA mène donc un riche dialogue avec le monde.

 

Anaïs Heluin

Envoyée spécial

 

A propos de l'événement

Festival TransAmériques / Montréal
du jeudi 25 mai 2017 au jeudi 8 juin 2017


Festival TransAmériques, à Montréal du 25 mai au 8 juin 2017. www.fta.ca.

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