La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

We are la France

We are la France - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Clément Bartringer Légende photo : Guillaume Hincky et Elisabeth Hölzle en vrais-faux conférenciers

Publié le 10 mai 2009

Le metteur en scène Benoît Lambert fabrique un théâtre d’intervention qui pioche dans le bréviaire des discours dominants pour en détourner la mécanique.

« We are la France traite vos questions les plus brûlantes dans une atmosphère conviviale et détendue. »… Plus qu’un spectacle, c’est « un nouvel état d’esprit », « une manière plus sexy d’être Français » annonce le programme en slogan majuscule. Vrai que cette curieuse « petite leçon d’économie politique à l’usage de tous » ne craint pas de triturer problèmes existentiels, mutations sociétales et enjeux démocratiques. Le rôle des maîtresses d’école à l’heure de la globalisation financière, l’appauvrissement de la communication des jeunes, l’indexation des désirs sur le taux de croissance des biens et des services ou encore l’urgence controversée de se remettre au jogging… autant de sujets cruciaux qu’effeuillent deux débatteurs emperruqués, sis doctement sur un tabouret de plateau tv. Précisément, la discussion porte sur le cas du petit Jordan (exemplaire des Hard-Core-Gamers-en-baskets-à-scratch-qui-appuient-comme-des-débiles-sur-deux-p’tit-boutons-et-hurlent-comme-des-gorets-parc’ils-ont-pas-pu-capturer-Grolem) : la maman demande pourquoi le passage en CM2 de son fils n’est pas « industriellement efficace ». « L’élève qui écrit mal, dont la production d’écrit est quasi-absente, est un pilier porteur. » répond Silvio Akiyoshi, patron des créatures qui vivent dans les herbes, les fourrés, les bois, les cavernes ou les lacs et responsable du redoublement de Jordan… CQFD.
 
Drôlement juste
 
Maniant logique implacable et cynisme glacé, le discours chausse les poncifs rhétoriques d’un nouveau parlé désormais dominant, mélange indolore de jargon spécialisé, de lexique idéologisé et d’expressions martelées. L’écrivain Jean-Charles Massera prélève en effet sa matière au cœur des messages échantillonnés du marketing, de la glose médiatique, des harangues publicitaires, analyses expertes et autres boniments politiques qui colonisent l’espace public. Il montre comment ces structures « toutes faites » piratent le langage, donc la pensée, y compris chez les opposants proclamés radicaux du « Système ». Pour autant, il ne cède pas au fatalisme ambiant ni à cette « mélancolie démocratique », que Pascal Bruckner voyait poindre voici déjà vingt ans sous l’effondrement de l’alternative communiste. Contre le catastrophisme des pleureuses, il sape tranquillement les dénonciations grandiloquentes, observe les zones de résistance nichées dans la réalité des pratiques quotidiennes. Adepte d’un théâtre d’intervention, le metteur en scène Benoît Lambert a taillé quelques morceaux de choix dans plusieurs textes de Jean-Charles Massera et les a cousus ensemble pour tisser sa toile. Dans un dispositif scénique sommaire facile à trimballer partout, Guillaume Hincky et Elisabeth Hölzle mènent habillement la conversation. L’ironie cinglante, le détournement des dispositifs de communication, les dérapages contrôlés et jeux de langages frappent drôlement juste, malgré le raboutage des textes. Et pourtant, aussi grinçant soit-il, ce théâtre reste production de discours, encore un, à défaut de devenir une expérience esthétique.
Gwénola David


 

We are la France, textes de Jean-Charles Massera, conception et mise en scène de Benoît Lambert, jusqu’au 16 mai 2009, à 19h30 sauf mardi, jeudi, vendredi à 21h, relâche dimanche, au Théâtre Paris Villette, Parc de la Villette, 75019 Paris. Rens. 01 40 03 72 23 et www.theatre-paris-villette.com. Durée : 1h. Puis du 19 au 21 mai au Théâtre Dijon Bourgogne (21), du 25 au 27 mai à l’Equinoxe, scène nationale de Châteauroux (36) et du 2 au 5 juin au Le Granit, scène nationale de Belfort (90).

A propos de l'événement


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