La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Voilà

Voilà - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Brigitte Enguerand Légende : Florence Giorgetti fait entendre toute la drôlerie cruelle de l’écriture de Minyana

Publié le 10 avril 2008

Philippe Minyana observe le rituel des visites du dimanche et en tire l’âpre chronique du temps. Une partition orchestrée tout en finesse par Florence Giorgetti.

« Voilà »… Le mot tombe, soudain se ferme net, un rien penaud mais sobre sur la finale. Un « présentatif » – diraient les zélés grammairiens – dépité devant l’évidence, qui annonce ou conclut le plat constat des faits. C’est ainsi. Irréfutable. Sans appel, semble-t-il. Façon de dire qu’on ne fait que montrer la réalité, désigner les menus événements étudiés, soigneusement collectés, rapportés, agencés : « Voilà », simplement, sans exclamation. C’est là, sous l’épais feuillage de l’ordinaire, parmi les chutes du réel, là que se jouent le drame du temps et les désastres de l’humain, que marmonnent les douleurs solitaires et les violences nouées. Philippe Minyana observe ainsi les rituels de la visite du dimanche. Il s’invite dans l’appartement de Betty, vieille femme callée au creux d’une retraite tranquille, quelque part dans une ville de province. Ruth, amie de longue date, Nelly et Hervé, plus jeunes, s’y retrouvent et glissent dans flux tiède de ces après-midi vaguement désœuvrés. Ils parlent, de tout, de rien, d’amour, boivent un verre, mangent un morceau, se souviennent, rient. Brutalement, laissent échapper le tranchant d’un trait longtemps moucheté. Puis le temps passe.
Comme une ritournelle

En habile miniaturiste, l’auteur reconstitue la marqueterie du réel, composant avec les bruits du monde et les paroles saisies au cru de la vie. Il livre les infimes brisures, les joies minuscules, les bouffées d’enfance, les petits copeaux abandonnés en chemin… ces mille choses de rien, ces peurs existentielles qu’il drague dans l’eau courante du quotidien et tire du limon bourbeux des consciences. Loin de se roidir dans les formes apprêtées du style, le verbe tournoie, saccade, s’en va, s’en vient, comme une entêtante ritournelle. La comédienne Florence Giorgetti (Ruth), qui signe aussi la mise en scène avec la collaboration de Robert Cantarella, orchestre cette partition tout en finesse. Avec elle, sur le plateau, Hélène Foubert (Nelly), Nicolas Maury (Hervé), Emilien Tessier (Betty) assument de plain pieds la banalité des situations, tout en gardant leurs distances avec les personnages. Le jeu, mêlant naturel et décalage, s’appuie sur la musicalité de l’écriture et sur la scénographie stylisée de Laurent P. Berger, tout en bois brut, pour introduire le juste écart et décoller la réalité du réalisme. Au fil des cinq séquences – cinq visites – affleurent l’amer comique de nos affairements dérisoires, l’effroi du temps, l’attente, l’abîme de la vieillesse… Surtout pas de pleurnicheries, ni de compassion dans ce théâtre-là. Mais un rire acide, irrépressible, vital.
 
Gwénola David


Voilà, de Philippe Minyana ; mise en scène de Florence Giorgetti, jusqu’au au 25 avril 2008, à 21h, sauf dimanche à 15h30, relâche lundi, au Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris. Rens. 01 44 95 98 21 et www.theatredurondpoint.fr. Texte publié à L’Arche éditeur. Spectacle vu à la Comédie de Reims. Durée : 1h25. Puis le 29 avril 2008 à L’ Athanor – Scène Nationale d’ Albi, le 6 mai 2008 au Théâtre de Cahors, du 13 au 17 mai au Théâtre 95 de Cergy-Pontoise, les 20 et 21 mai 2008 au Manège – Scène Nationale de la Roche sur Yon.

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