La Terrasse

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Avignon - Critique

Vincent Dussart met en scène « Autopsie d’une photo de famille », unissant deux textes de Grégoire Delacourt et Pierre Creton : une forme délicate et juste pour retrouver et réparer l’enfance saccagée

Vincent Dussart met en scène « Autopsie d’une photo de famille », unissant deux textes de Grégoire Delacourt et Pierre Creton : une forme délicate et juste pour retrouver et réparer l’enfance saccagée - Critique sortie Avignon / 2025 Avignon La Manufacture
Autopsie d’une photo de famille, mise en scène par Vincent Dussart © Corinne-Marianne Pontoire

La Manufacture / textes de Grégoire Delacourt et Pierre Creton / mise en scène de Vincent Dussart

Publié le 13 juillet 2025 - N° 334

Dans une forme juste et délicate, Vincent Dussart met en scène L’Enfant réparé, de Grégoire Delacourt, et Une honte. Essai sur une image de soi, de Pierre Creton. Une quête sensible qui s’élève contre les traumatismes tus et s’avance vers la possibilité d’une réparation.

Deux espaces, deux textes, mais une seule auscultation de l’être, appliquée, attentive, absolument consciente de l’immensité du malheur et tout entière tournée vers la vie et sa possible force collective. Sous le regard du spectateur, dans une juste distance et une forme infiniment délicate, l’acte théâtral rappelle l’immense fragilité de l’enfant, si dépendant, vulnérable et impuissant face aux abus, sous la coupe d’une autorité parentale qui s’exerce plus ou moins bien, plus ou moins mal. Dans le récit autobiographique L’Enfant réparé, Grégoire Delacourt remonte à la source de l’enfance saccagée, quelque cinquante ans plus tôt. Il livre une confession bouleversante sur les blessures invisibles qui l’ont détruit, transformant ses rêves d’enfant en envie de suicide. L’enfant subit, en proie à une honte qui le consume. « Mon corps est l’acquittement du coupable. » dit-il. « J’ai eu peur et froid. J’ai été abîmé dans cette maison. » Vincent Dussart choisit un langage théâtral pluriel et subtil pour porter ce texte, sans facilité émotionnelle, sans veine réaliste. En premier lieu à l’avant-scène se déploie un chœur familial d’hommes et de femmes qui vibre à l’unisson face au traumatisme, dont les corps serrés les uns contre les autres disent la vulnérabilité mais aussi la possibilité d’une réparation, dont les mots s’élèvent contre le silence et l’effacement.

Vibrer à l’unisson, par les mots et les corps

Place ensuite au second texte, lorsqu’un voile blanc découvre l’intérieur d’une maison, et en fond de scène une photographie. Celle de chasseurs entourant le cadavre d’un chevreuil mort, le père, l’oncle, le grand-père, et au premier plan, un petit enfant souriant, la main posée sur la tête de l’animal. Soit le triomphe de trois virilités, imposant leurs normes et leur violence à leur entourage. L’auteur soumet l’image aux regards de sa mère, d’une amie psychanalyste, d’une photographe, d’un philosophe, d’une professeur, et d’un cousin. Six dialogues se succèdent, avant le récit final par l’auteur. L’autopsie de la violence s’approfondit avec netteté, dans une quête qui s’avance jusqu’à l’enfance blessée, où s’expriment les mots et les corps. Tout s’agence dans une élégante fluidité et une belle pertinence qui impressionnent. Une telle pièce, impeccablement servie par Guillaume Clausse, Juliette Coulon, Xavier Czapla, Sylvie Debrun, Patrice Gallet, France Hervé,et Elodie Wallace, est infiniment nécessaire. Il n’y a pas de #MeToo des enfants : sans le secours d’un adulte, ils ne sont ni entendus ni protégés.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Autopsie d’une photo de famille
du samedi 5 juillet 2025 au mardi 22 juillet 2025
La Manufacture
2, rue des Ecoles, 84000 Avignon

à 12h (départ navette). Relâche les 10 et 17 juillet. Tél. : 04 90 85 12 71. Durée : 2h10, trajets en navette compris.

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