La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Vents contraires de Jean-René Lemoine

Vents contraires de Jean-René Lemoine - Critique sortie Théâtre Strasbourg Théâtre National de Strasbourg
Norah Krief et Anne Alvaro dans Vents contraires. Crédit : Jean-Louis Fernandez

texte et mise en scène Jean-René Lemoine

Publié le 26 novembre 2019 - N° 282

Jean-René Lemoine met en scène les déboires amoureux de six représentants d’une époque égarée entre égoïsme et consumérisme. Un spectacle intéressant, servi par des comédiens remarquables.

On n’entre pas forcément de plain-pied dans la pièce de Jean-René Lemoine tant les personnages qui l’habitent paraissent de prime abord tristement matérialistes et superficiels. Liste des couturiers chez lesquels on va acheter de quoi se vêtir, litanie des créateurs dont les meubles décorent les appartements, hiatus presque comique entre un capital économique établi et un capital culturel qui emprunte à la variété populaire souvent peu légitime aux yeux des arbitres de l’élégance intellectuelle : on peine à éprouver une immédiate empathie pour les mésaventures existentielles de ces pauvres petites filles riches dont Claude François susurrait les déboires… Mais il faut compter avec la finesse psychologique de Jean-René Lemoine et surtout le talent et le brio des cinq comédiennes qui incarnent les femmes de cette histoire où deux drames s’entrecroisent diaboliquement, comme dans un vaudeville qui tournerait à la tragédie. L’argent ne fait pas le bonheur, même lorsque le cadre de vie est fait de boiseries élégantes, de moulures et de miroirs, de terrasse en plein ciel et de voyages transatlantiques, mais force est d’admettre que le confort ne sert pas d’airbag au malheur et que son spectacle est toujours poignant.

La richesse ne dispense ni du malheur ni de la pitié

Cent euros pour une fellation et cent mille pour un mari… Dans la société contemporaine où tout se négocie, l’amour résiste et ne peut s’acheter. Telle est la triste conclusion à laquelle Marthe, Marie et Rodolphe, d’une part, Camille, Leïla et Salomé, d’autre part, sont irrémédiablement conduits, condamnés par leur égoïsme et leur veulerie. Alors que Marie propose à Marthe de lui vendre Rodolphe, Salomé à la beauté fatale précipite les déboires amoureux de Leïla et Camille et remplace le mariage par un contrat d’affaires où la raison gagne sur les sentiments. Les personnages sont constamment ramenés à leur rapport pathétique à l’argent, mais aussi à leur fragilité, car s’ils sont bourreaux, ils n’en demeurent pas moins victimes et chacun d’eux se débat à sa façon dans un monde impitoyable. Dans une langue précise et ciselée, Jean-René Lemoine peint leur dérive et leurs atermoiements et révèle les ténèbres d’un monde où le fétichisme de la marchandise obnubile les esprits. Anne Alvaro (extraordinairement savoureuse dans les répliques comiques de son rôle), Océane Cairaty, Marie-Laure Crochant, Alex Descas, Norah Krief et Nathalie Richard campent ces urbains, fragiles, féroces et désenchantés (la chanson de Mylène Farmer est en fond musical), pris dans la tourmente des passions et des ruptures : humains, terriblement, pitoyablement, formidablement humains…

Catherine Robert

A propos de l'événement

Vents contraires de Jean-René Lemoine
du jeudi 28 novembre 2019 au samedi 8 février 2020
Théâtre National de Strasbourg
1 Avenue de la Marseillaise, 67000 Strasbourg

Tournée jusqu’en février 2020 (Théâtre National de Strasbourg, du 28 novembre au 7 décembre, Le Grand T, du 11 au 13 décembre, Maison de la Culture d’Amiens, les 8 et 9 janvier 2020, CDN de Tours — Théâtre Olympia, du 14 au 18 janvier, MCB° de Bourges, les 22 et 23 janvier, Théâtre de Nîmes, les 29 et 30 janvier, Théâtre du Gymnase, du 6 au 8 février 2020).

Spectacle vu à la MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis.

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