Dialogues d’exilés de Bertolt Brecht : un hommage à la pensée
Deux années après sa captivante performance dans Le Grand Cahier, d’Agota Kristof, Valentin Rossier s’empare des Dialogues d’exilés, de Bertolt Brecht. A ses côtés, pour ce face-à-face dialectique : le comédien Jean-Quentin Châtelain.
Quelles figures Brecht fait-il se confronter à travers ces dialogues philosophiques ?
Valentin Rossier : Deux allemands exilés qui se retrouvent au buffet de la gare d’Helsinki, au début de la seconde guerre mondiale. L’un est un physicien juif, l’autre un ouvrier communiste. Mais ces deux figures incarnent surtout Brecht lui-même, comme si l’auteur se livrait à un dialogue intérieur. Ces deux voix se mettent ainsi à discuter ensemble, à débattre de toutes sortes de sujets, de l’absurdité de la guerre et du régime qui les a amenées à fuir l’Allemagne. Car évidemment, ce texte traite de l’exil. A partir du moment où l’on regarde son pays de l’extérieur, on est souvent beaucoup plus objectif, beaucoup plus critique à son égard. Avec, bien sûr, tout ce que cela comporte de nostalgie, de colère, d’impuissance, de désarroi et aussi d’humour.
L’humour prend-il une place importante au sein de votre représentation ?
V. R. : Oui, car j’ai souhaité dépasser la dimension réaliste du texte pour l’orienter vers le burlesque. Jean-Quentin Châtelain et moi-même travaillons à faire naître une forme de délire philosophique. Nous ne nous positionnons donc pas du tout dans le sérieux mais dans l’allégorie, dans l’allégresse, dans une sorte d’enivrement, au sens propre comme au sens figuré. Nous sommes tous les deux vêtus de smokings, devant des micros sur pied, face au public auquel on adresse le texte, avec un rideau en fond de scène qui nous ramène au théâtre. D’une certaine façon, il s’agit de faire penser au « stand-up », au cabaret d’aujourd’hui.
« Le vrai dialogue, c’est de penser ensemble. »
Comment expliquez-vous l’actualité des propos que tiennent ces deux personnages, plus de cinquante ans après leur écriture ?
V. R. : Dialogues d’exilés est un texte universel, qui porte bien au-delà des circonstances dans lesquelles il a été écrit. La manière que Brecht a de transposer son époque au théâtre est tellement clairvoyante, tellement juste, qu’elle sublime situations et personnages. C’est là la marque des grands auteurs. La façon dont ces dialogues s’adaptent parfaitement à notre époque fait d’ailleurs froid dans le dos… On change quelques noms et l’on se retrouve exactement dans les turpitudes du monde d’aujourd’hui. Ces Dialogues d’exilés sont porteurs — en 2008 comme hier, et je crois malheureusement pouvoir dire comme demain — de l’aberration de la guerre et du pouvoir politique.
Quels sont les enjeux de la représentation que vous avez conçue ?
V. R. : Pour simplifier, je dirais qu’il s’agit d’un hommage à la pensée. Car le vrai dialogue, c’est de penser ensemble. Et cet « ensemble » vaut également pour le public qui, d’une certaine façon, est partie intégrante du spectacle, à travers bien sûr sa présence, mais aussi son attention, le processus de réflexion qu’il partage avec nous. Le rapport de jeu qui s’établit entre Jean-Quentin Châtelain et moi est fondé sur le regard, sur la présence, et surtout sur l’écoute. Cette dernière chose est peut-être ce qu’il y a de plus difficile à mettre en place. L’oreille est primordiale pour de ce genre de textes. Nous restons l’un à côté de l’autre, devant notre micro, en écoutant, en parlant, mais toujours à travers une forme de triangle qui prend en compte le public.
Quelle est, d’après vous, la qualité essentielle du théâtre de Brecht ?
V. R. : Au même titre que Shakespeare, je crois que c’est cette façon de prendre en compte le plateau, d’envisager la troupe comme une des composantes fondatrices du théâtre, de toujours remettre en question l’écriture à travers le travail poétique élaboré avec les comédiens. Il y a quelque chose de l’ordre de la création immédiate chez Brecht. Bizarrement mais heureusement, cette immédiateté a laissé des traces.
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
Dialogues d’exilés, de Bertolt Brecht (texte édité par L’Arche) ; mise en jeu et jeu de Valentin Rossier ; collaboration et jeu de Jean-Quentin Châtelain. Du 10 au 30 mars 2008. Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30, le dimanche à 16h00. Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, 59, boulevard Jules Guesde, 93207 Saint-Denis. Renseignements et réservations au 01 48 13 70 00. Navette de retour gratuite tous les soirs à l’issue du spectacle (sauf le dimanche).