La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Un fils de notre temps

Un fils de notre temps - Critique sortie Théâtre Béziers Domaine départemental art et de culture
Jean Bellorini adapte et met en scène le dernier roman d’Horváth. Crédit photo : Pierre Dolzani

Tournée en France / d’Ödön von Horváth / mes Jean Bellorini

Publié le 29 janvier 2015 - N° 229

Jean Bellorini adapte et met en scène le dernier roman d’Ödön von Horváth, écrit en 1937, lors de la montée du nazisme. Une remarquable réussite théâtrale d’une acuité politique aujourd’hui hallucinante.

Les récents assassinats liberticides et antisémites offriront sans doute aux artistes l’occasion d’interroger encore et toujours la naissance de la haine et sa croissance fortifiée par l’ignorance, la misère, le mépris, la bêtise et l’humiliation. Ceux qui refusent de croire aux monstres et à l’essentialisation des fantasmes, ceux qui savent que le barbare est d’abord l’homme qui croit à la barbarie et qu’il n’y a rien de plus humain que l’inhumain, accepteront peut-être de chercher à nouveau d’où sourd le mal pour en comprendre la genèse, voire en stériliser la matrice. En 1937, un an avant sa mort, Horváth écrit son dernier récit : Un fils de notre temps. Moins d’un siècle après, son temps demeure le nôtre, et les alarmes qu’il fait retentir, alors que se répand le fascisme en Europe, sont d’une affolante actualité : le fils de ce temps-là a de terribles descendants. Il est évident que ce spectacle n’est pas de circonstance, mais la manière dont il répond aux questions du moment le place au croisement de l’intelligence politique et du souci humaniste.

Fulgurance des images et magie interprétative

Clément Durand, Gérôme Ferchaud, Antoine Raffalli et Matthieu Tune sont les interprètes de la dérive inventée par Horváth. Un jeune chômeur s’engage dans une armée sanguinaire. Il trouve en son capitaine le substitut valeureux qui lui permet d’effacer l’image défaillante d’un père cassé par la précédente guerre et ses conséquences économiques désastreuses. Son uniforme est le costume de son identité glorieuse, et chaque étoile qu’il gagne au combat éclaire sa nuit. L’ennemi est au dehors, il faut le réduire à néant comme on combat toujours l’innommable pour se faire un nom. Blessé lors d’un assaut et réformé, il revient à la vie civile avec une amertume qui le pousse au meurtre. Il se trompe à nouveau, berné par le mal, trahi par ses rêveries chimériques, aveuglé par la haine. Les quatre interprètes alternent récit et musique en une polyphonie aussi riche qu’harmonieuse. Le héros solitaire gagne en complexité à cette figuration multiple : il prend les traits du doux, du nerveux, du brutal, de l’austère, de l’enfantin ou du moqueur. Il est tous les hommes ; il est l’essence de l’homme, infiniment pitoyable quand le sort s’acharne et désespérément misérable quand l’amour manque. Les images que parvient à faire naître ce spectacle à l’impeccable économie scénique et à la beauté sidérante sont poignantes et cruelles, poétiques et délirantes, drôles et bouleversantes. Elles placent ceux qui les créent au sommet de la maîtrise de leur art.

 Catherine Robert

 

A propos de l'événement

Un fils de notre temps
du vendredi 27 février 2015 au vendredi 27 mars 2015
Domaine départemental art et de culture
Route de Vendres, 34500 Béziers, France

Du 27 février au 6 mars 2015 (le 2 mars à 19h et le 3 à 21h à Sortie Ouest ; le 27 février à 21h à La Tuilerie de Bédarieux et le 6 mars à 19h à la salle polyvalente de Cruzy). Tél. : 04 67 28 37 32. Espace Jean-Legendre, place Briet-Daubigny, 60200 Compiègne. Du 24 au 27 mars. Tél. : 03 44 92 76 76. TNT – Théâtre National de Toulouse, 1, rue Pierre-Baudis, 31009 Toulouse. Du 12 au 23 mai. Tél. : 05 34 45 05 05

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