LA GRANDE ET FABULEUSE HISTOIRE DU COMMERCE
A partir d’interviews d’anciens voyageurs de [...]
Après La Mouette et Oncle Vania, Christian Benedetti poursuit son remarquable travail et met en scène Trois Sœurs avec la même économie de moyens. Il fait résonner avec acuité cette partition polyphonique, pièce de troupe bouleversante qui interroge notre humanité.
Ce n’est pas une illustration. Pas une incarnation. Pas une reconstitution non plus. Plutôt une mise en tension. Une activation du sens qui se situe au cœur de chacun, non pas dans la réflexion mais plutôt dans le ressenti, dans la conscience aiguë de ce qu’est la vie qui passe et s’achève un jour. Entre les désirs et les empêchements, entre le possible et l’impossible, entre le passé qu’on reconnaît et le futur qu’on imagine, le temps fait son œuvre et les choses se perdent. Le temps se brise parfois. Une sensation de bonheur et de légèreté comme « une voile gonflée par le vent », ou la sensation d’avoir été « étouffées » par la vie « comme de mauvaises herbes » : la vie ici porte ses contradictions et ses drames, ancrés dans chaque individu lui-même ancré dans son singulier contexte familial, social et économique. C’est à la fois très précis et totalement universel, et c’est l’admirable prouesse qu’accomplissent les grands écrivains, parmi lesquels Tchekhov est au sommet ! L’amour, la solitude, le mariage, le travail, l’ennui… La pièce débute par la fête d’anniversaire d’Irina dans la maison familiale, qui a lieu aussi le jour anniversaire de la mort du père. Les trois sœurs Macha, Irina et Olga veulent quitter leur petite ville de province, animée par les militaires de la garnison, et retrouver la capitale de leur enfance. « A Moscou ! A Moscou ! A Moscou ! »
Concentrer et structurer
En écho à Tchekhov qui réinvente les règles dramaturgiques et la figure du spectateur, en écho à Treplev dans La Mouette qui réclame des « formes nouvelles », Christian Benedetti change la façon de faire et la façon de regarder. Il débarrasse sa mise en scène de toute psychologie et de tout effet superflu, il concentre, épure et structure, il installe une écoute pointue de cette langue merveilleuse. Benedetti souhaite monter dans l’ordre de leur écriture les quatre dernières oeuvres de Tchekhov. Les mêmes principes scénographiques caractérisent La Mouette (La Terrasse n°192), Oncle Vania (La Terrasse n° 197) et Trois Sœurs. Le plateau demeure épuré et allusif comme un espace de répétition. Deux tables, des chaises, une balançoire… plus un piano droit et le portrait du père… Des changements à vue. La même équipe de comédiens, plus quelques-uns pour cette pièce de troupe, interprètent sans faillir cette partition polyphonique complexe qui imbrique de multiples histoires. Même débit accéléré aussi, avec parfois des arrêts sur image qui habitent intensément le silence suspendu. Au début de la pièce, cette diction rapide fait craindre que l’on ne puisse véritablement être à l’écoute du drame, mais le jeu prend tout son sens et déploie son énergie. C’est peut-être notre liberté que cette pièce interroge en premier lieu. Tchekhov est bien notre contemporain…
Agnès Santi
A 20h, sauf le mardi à 19h, relâche les lundis et dimanches, matinée exceptionnelle le dimanche 8 février 2015 à 16h. Tél : 01 53 05 19 19. Durée : 1h50.
A partir d’interviews d’anciens voyageurs de [...]