La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Thomas Condemine, l’individu face à la norme

Thomas Condemine, l’individu face à la norme - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre du Rond-Point
Thomas Condemine. CR.DR

Reprise / Théâtre du Rond-Point / Hetero / de Denis Lachaud / mes Thomas Condemine

Publié le 1 septembre 2014 - N° 223

Thomas Condemine, artiste associé à la Comédie Poitou-Charentes, met en scène le texte percutant et original de Denis Lachaud,  qui ouvre la réflexion sur les rapports hommes/femmes et au-delà sur les rapports sociaux dominants/dominés, « résultat complexe et fonctionnel d’une fabuleuse accumulation d’expérience », selon les mots d’un personnage… 

Qu’est-ce qui vous a motivé dans ce texte de Denis Lachaud ?

Thomas Condemine : J’ai dans un premier temps découvert l’un de ses romans, J’apprends l’allemand, exposant le parcours d’un jeune homme qui apprend que son grand-père a été gardien SS pendant la guerre, et mettant en lumière les diverses réactions au sein de la famille. Ce roman pose la question de l’héritage, du monde en tant qu’invention sociale et humaine façonnée par des règles. Lorsque le monde dans lequel on vit est chamboulé, comment se situe-t-on par rapport à la norme ? La pièce Hetero explore aussi de façon originale et percutante la question de l’héritage et celle de l’individu par rapport à la norme, sur le plan du genre. En effet, la pièce met en scène cinq hommes : Père 1, Père 2 (les parents du Fils), le Fils, le Promis, et Negos (l’entremetteur qui présente le Promis au Fils afin de conclure un mariage). Dans ce monde unisexe violent et codifié où il est nécessaire de faire preuve de sa virilité, les hommes doivent se marier, mais tous n’ont pas le même rôle : certains travaillent, d’autres enfantent et restent à la maison. A travers cette approche étrange et d’un humour féroce, la pièce met en œuvre un regard nouveau sur la question du genre, déclenche toute une réflexion sur la société, sur les idéaux, les utopies, le désir, le sexe ; elle éclaire les rapports sociaux, met en place une réflexion sur les rapports entre dominants et dominés et sur la façon dont ces rapports se transmettent et se perpétuent.

Comment définissez-vous l’aspect comique de la pièce ?

T. C. : A l’épreuve du plateau, l’écriture demeure drôle mais c’est très grinçant, car la situation d’oppression existe et elle est immédiatement perceptible. Il y a quelque chose de très lourd derrière ce comique, quelque chose qui évoque nos conditionnements au sein de la société. Les acteurs maquillés sont des sortes de clown blanc, réunissant le comique et le tragique.

 « La pièce invite à prendre conscience de nos héritages, qui nous dépassent qu’on le veuille ou non. »

Comment s’exercent ces rapports dominants / dominés dans la pièce ?

T . C. : De manière souterraine, et par la parole, car les personnages ne peuvent être différenciés ni par leur jeu ni par leur physique. L’auteur s’amuse de manière cruelle à mettre en jeu l’archétype de l’hétérosexualité hégémonique – l’homme viril blanc qui réussit – et le distribue dans tous les  rôles. Au spectateur de reconnaître les uns et les autres. Les femmes n’ont jamais existé dans ce monde. Certaines attitudes qui seraient perçues comme drôles ou normales avec une femme deviennent choquantes avec un homme viril. Denis Lachaud règle ses comptes avec le schéma hétéronormé, il y va fort avec les dominants, et en même temps essaie de comprendre le schéma sensible par lequel la domination se poursuit. Le Promis porte une volonté de résistance, qui va échouer mais que nous allons tenter de faire vivre dans le cœur du spectateur, tandis que d’autres cherchent à se tailler une place à l’intérieur de la règle. Tel un miroir déformant la pièce nous invite à prendre conscience de nos héritages, qui nous dépassent qu’on le veuille ou non, et réveille l’envie de changement ! Le Promis questionne la norme, par nécessité, et il se passe des choses terribles pour les garants de la norme qui se sentent en danger. Le salon bourgeois des pères, en noir et blanc, a des murs en papier, et cet espace se transforme par les actions du Promis, il est progressivement envahi par autre chose. Des changements en profondeur sont  possibles à l’échelle de chaque individu :  si le théâtre peut faire quelque chose, c’est à cet endroit.

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement

Hetero
du mercredi 17 septembre 2014 au dimanche 19 octobre 2014
Théâtre du Rond-Point
2 Avenue Franklin Delano Roosevelt, 75008 Paris, France

à 20h30, dimanche à 15h30, relâche les lundis et le 21 septembre. Tél. : 01 44 95 98 21. Durée : 1h55. 

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