Le processus créatif d’un compositeur est parfois étroitement lié à la complicité qui le lie à ses interprètes. C’est le cas de Thierry Escaich qui a trouvé en Claire-Marie Le Guay une complice inspirante. La pianiste joue en création mondiale son cycle des Etudes Baroques entamé il y a quelques années.
Quelle est la place du piano dans votre oeuvre de compositeur ? Etant organiste, comment décririez vous votre approche de cet instrument à la fois si proche et si différent de l’orgue?
Thierry Escaich : Il est certain qu’on reconnaît mon métier d’organiste malgré moi dans mon approche du piano. Ma première pièce de piano "Les Litanies de l’ombre" (1990) en est un bon exemple : présence de polyphonies qui demandent un legato assez inhabituel au piano, plans sonores superposés symbolisant les divers claviers de l’orgue, recherche souvent d’une plénitude sonore à partir de basses qui rappellent les fonds de 32 pieds du pédalier… Mais cela se combine aussi avec mon approche plus intime du piano, instrument devant lequel je suis lorsque je compose, instrument de la souplesse, de la liberté d’improvisation et de l’expérimentation… L’orgue restant toujours une sacrée "machine" qu’il faut savoir dompter!
« Ces études sont conçues comme des miroirs de pièces baroques »
Comment avez-vous conçu ce cycle des Etudes Baroques ? Quel est l’esprit général de ces pièces’
T. E. : Ces études sont conçues comme des miroirs de pièces baroques, d’où leur nom. Certaines variations de chorals de Bach (on retrouve l’organiste !) dont je n’ai gardé que le "processus" de variation que j’ai en quelque sorte poussé à l’extrême en sont le déclencheur. Ainsi la première semble prendre directement la suite d’une variation en trio rapide du Kantor, mais le processus s’emballe et, par vagues successives, je m’approprie harmoniquement, rythmiquement et formellement cette évolution jusqu’à une quasi désintégration du modèle initial. Parfois, une bribe de phrase tirée d’une "aria" plus ou moins imaginaire est la base de l’étude, comme pour la seconde, ou alors il s’agit de revisiter des formes comme la "chaconne" pour la cinquième et dernière étude, avec tout ce que cette forme peut avoir de stimulant pour l’imagination et son besoin de renouvellement incessant de tous les paramètres musicaux.
Vous avez fait de Claire-Marie Le Guay l’une de vos interprètes favorites ? Qu’aimez-vous dans son jeu et dans son travail’
T. E. : Son écoute, son intérêt pour l’élaboration même de la pièce, l’intelligence de son jeu… De plus, on a, depuis maintenant de longues années (je me suis retrouvé, tout jeune, jury à son prix de piano du Conservatoire de Paris !) une réelle complicité comme interprètes à travers les nombreux concerts en duo qu’on a donnés ensemble et qui m’ont permis de connaître encore mieux la richesse de son toucher et sa facilité à s’approprier des styles musicaux très divers.
Propos recueillis par Jean Lukas
Lundi 28 mars à 20 h à l’Athénée-Théâtre Louis Jouvet. Au même programme ; des œuvres de Bach et la Sonate en si mineur de Liszt.