La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Sylvain Maurice, Oriza Hirata et Amir Reza Koohestani

Sylvain Maurice, Oriza Hirata et Amir Reza Koohestani - Critique sortie Théâtre
© Fred Kihn Portrait de Oriza Hirata, Sylvain Maurice et Amir Reza Koohestani

Publié le 10 mars 2009

Des utopies ? : L’art se joue des frontières

Sylvain Maurice, directeur du Nouveau Théâtre de Besançon, a initié un ambitieux projet international fondé sur une collaboration au long cours. C’est une création ensemble, avec le japonais Oriza Hirata et l’iranien Amir Reza Koohestani, auteurs et metteurs en scène, qu’il a déjà accueillis dans son théâtre, avec aussi des comédiens français, iraniens et japonais. La création d’Oriza Hirata, Noël à Téhéran, précède celle d’Amir Reza Koohestani, qui met en scène les coulisses imaginaires de la première pièce. Et Sylvain Maurice a imaginé un prologue et un épilogue au spectacle. Un parcours en quatre langues (avec l’anglais) à voir autant qu’à écouter, qui s’annonce comme une réflexion passionnante sur le théâtre et l’interculturalité.

 « Oriza et Amir sont des personnalités suffisamment fortes et matures pour travailler à partir de leur culture d’origine et en même temps se poser la question de la rencontre. » Sylvain Maurice
 
Pourquoi avez-vous initié ce projet intitulé Des utopies ?
 
Sylvain Maurice : Depuis que j’ai pris la direction du centre dramatique de Besançon en 2002, j’ai souhaité non seulement programmer des artistes de nationalité différente mais surtout travailler avec eux. Faire coopérer des artistes de cultures éloignées les unes des autres englobe une dimension d’utopie. En tant que responsable d’une institution, je pense qu’il est important de construire ce type de projet utopique, et à ce titre, je joue un rôle de producteur au sens entier du terme, plutôt dans les coulisses, et non pas de metteur en scène. Nous avons passé commande à Oriza Hirata et Amir Reza Koohestani, tous deux auteurs et metteurs en scène, d’une pièce d’une cinquantaine de minutes chacun, dont la consigne était d’écrire pour une troupe trinationale composée de trois acteurs francophones, trois acteurs iraniens et trois acteurs japonais. Je connaissais tous les comédiens bien avant les répétitions puisque j’ai rencontré lors de workshops les comédiens japonais au théâtre Agora de Tokyo que dirige Oriza voici un an et demi, et les comédiens iraniens à Téhéran en juillet dernier. Le texte déploie une forme de choralité en persan, français, japonais et anglais.
 
Quelles ont été les principales difficultés lorsque vous avez abordé le travail d’écriture ? 
 
Oriza Hirata  : J’ai déjà travaillé à plusieurs reprises avec deux pays : Japon et France, Japon et Corée, ou encore Japon et Belgique, sans réelle difficulté. C’est la première fois que je travaille avec trois pays, c’est un travail complexe, qui m’a enthousiasmé. Je travaille en France depuis dix ans donc je commence à savoir comment parler avec les comédiens français. Et depuis environ deux ans, j’ai beaucoup lu sur l’Iran ! La pièce a lieu le 24 décembre dans une station de ski proche de Téhéran. Des gens de trois pays différents se retrouvent par hasard dans ce même espace. Ils parlent de religion, de famille, d’histoires sentimentales, et de communication, un enjeu essentiel de la pièce, une difficulté voire une impossibilité entre des personnes si éloignées.
 
Amir Reza Koohestani : Au début je n’étais pas vraiment optimiste sur cette collaboration internationale, j’avais peur que le projet s’oriente dans une direction trop folklorique, lorsque chacun expose sa culture. Quand j’ai découvert le travail d’Oriza en Angleterre, j’ai été fasciné par son style et la qualité de l’interprétation. J’ai trouvé des similitudes entre son travail et le mien. Mais ce qui a été difficile pour moi, c’est que je n’avais aucune idée sur le texte ! Je ne peux pas écrire le texte sans connaître personnellement les acteurs. J’ai donc demandé à Sylvain d’écrire le texte pendant les répétitions. J’ai eu l’idée de créer une pièce sur le théâtre, une pièce sur les acteurs supposés être sur scène dans la pièce d’Oriza, sur les coulisses complètement imaginaires de cette pièce, des coulisses chaotiques et stimulantes au regard des différentes cultures. Certaines scènes sont jouées dans les deux pièces. Oriza m’a laissé des espaces en termes de significations des cultures. Il a envisagé le travail de cohabitation des cultures de façon optimiste, tandis que mon regard est plus pessimiste.
 
Quel rôle jouent les différences culturelles au sein d’un tel projet ? Sont-elles un obstacle ou au contraire un enrichissement, une façon de faciliter la communication entre des artistes qui ne se connaissent pas ?
 
S M : Selon moi, la force du projet est de mettre en relation des artistes plutôt que des cultures différentes. Bien entendu chaque artiste est fortement identifié à sa culture et porte sa culture dans son travail, mais Oriza et Amir sont des personnalités suffisamment fortes et matures pour travailler à partir de leur culture d’origine et en même temps se poser la question de la rencontre.
 
 
O H : J’ai commencé ma carrière théâtrale en tant qu’auteur plutôt que metteur en scène. Les auteurs ont toujours l’expérience que les comédiens ne prononcent jamais les répliques comme ils le souhaitent. Qu’ils soient japonais, iraniens ou français ne change pas la donne, leurs cultures sont de toute façon différentes de celles des auteurs. En l’occurrence, je n’ai pas eu de problèmes avec les comédiens iraniens au niveau artistique. J’aimerais les prendre dans mes valises ! La pièce résonne comme un orchestre, et chaque instrument est merveilleux. Le fait de travailler avec des étrangers rend peut-être les choses plus faciles : on présuppose que l’on ne se comprendra pas. Nous n’avons pas la même façon de vivre, le même quotidien, nous avons des coutumes politiques et des religions différentes, cela a suscité de nombreux dialogues intéressants par rapport à certaines répliques.
 
 
A R K : Le premier défi en tant qu’auteur a été celui de la traduction. J’ai écrit en persan, et les traductions japonaise et française ne peuvent refléter exactement ce que j’ai écrit. J’utilise des jurons, des mots grossiers dans mon texte, ce qui n’est pas forcément usuel dans d’autres cultures. J’ai donc essayé au cours de ce travail d’inventer une nouvelle façon d’écrire, pour d’autres cultures, pour des acteurs de différentes nationalités.
 
Le langage a ici une fonction particulière, ce que l’on entend a une fonction, pas seulement ce que l’on comprend.
 
A R K : Le langage parlé dans ce texte est musical. La différence entre le travail d’Oriza et le mien, c’est qu’Oriza orchestre huit ou neuf instruments en même temps, tandis que j’utilise plutôt le solo, voire deux instruments. Cela crée différentes harmonies. Les trois langues créent trois impressions radicalement différentes sur le public. Dans l’écriture même, les directions sont différentes. Le français s’écrit de gauche à droite, le persan de droite à gauche et le japonais de haut en bas. Ces règles et ces sons différents suscitent des expériences très intéressantes pour l’artiste comme pour le spectateur.

Propos recueillis par Agnès Santi


Des utopies ? de Oriza Hirata, Amir Reza Koohestani, Sylvain Maurice, du 23 au 29 mars à Tokyo. Le 3 avril à 20h30 au Théâtre Granit à Belfort. Tél : 03 84 58 67 67. Du 7 au 11 avril au théâtre de l’Echangeur. Tél : 01 43 62 71 20. Du 14 au 17 avril au Théâtre Dijon Bourgogne. Tél : 03 80 68 47 47.

A propos de l'événement


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