La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Suzanne, la vie étrange de Paul Grappe

Suzanne, la vie étrange de Paul Grappe - Critique sortie Théâtre Paris _Le Lucernaire
Suzanne, la vie étrange de Paul Grappe, de Julie Dessaivre. © Elise Jaunet

Le Lucernaire / écriture et mes Julie Dessaivre

Publié le 23 avril 2018 - N° 265

Dans sa première mise en scène, Julie Dessaivre questionne le genre et le couple en s’emparant avec talent d’une histoire vraie. Celle de Paul Grappe, devenu Suzanne en 1915 afin d’échapper au front.

Le travestissement, sur scène, s’achemine vers le même destin que le corps nu, à quelques décennies d’intervalle. À force d’être montré, il perd de sa marginalité pour devenir stéréotype. Son pouvoir de transgression s’efface au profit de présences neutres, simples reflets de l’évolution de la société en matière d’acceptation de l’homosexualité. Ou même formes de divertissement. Face à cette évolution, des artistes cherchent régulièrement à restituer au corps travesti son étrangeté. Sa force théâtrale. C’est le cas de Julie Dessaivre de la jeune compagnie Rosa Rossa, avec sa première mise en scène, Suzanne, la vie étrange de Paul Grappe. Inspiré de l’histoire vraie du Paul éponyme, ce spectacle revient à une époque pas si lointaine où la remise en cause des genres institués faisait davantage scandale. Nous sommes en 1915, et Paul Grappe (Matthieu Fayette, en alternance avec Édouard Demanche) vient de déserter. De retour à Paris auprès de son épouse Louise Landy (Léa Rivière-Fernandes, en alternance avec Anaïs Casteran), il ne trouve de solution pour échapper à la police qui le poursuit que dans l’adoption d’une nouvelle identité. Celle de la charmante et provocante Suzanne, dont la renommée ne tarde pas à grandir au bois de Boulogne, son nouveau refuge. Son terrain de jeu. Sans cesser de battre Louise qui, d’un coup de revolver, finit par mettre un terme aux expériences de son mari.

Une aventure ambiguë

Suzanne, la vie étrange de Paul Grappe, s’ouvre sur le mariage de Louise et Paul, en 2011. Derrière une tribune qui sera plus tard convertie en lit, un homme de loi (Zacharie Harmi, qui incarne toutes les figures d’autorité de la pièce) affirme d’emblée le caractère féministe de la pièce de Julie Dessaivre. « Monsieur, la nation compte sur vos forces ! Écrasez-les ! Puis revenez-lui vite ! Une femme a besoin de son mari ! Comme le dit le code civil : “Les personnes privées de droits juridiques sont : les criminels, les femmes mariées et les débiles mentaux’’ », dit-il en effet tandis que Léa-Rivière-Fernandes et Matthieu Fayette surjouent le bonheur conjugal. Suite à quoi Éloïse Bloch, dans le rôle de Lucie, amie et conseillère beauté de Suzanne, se lance dans la première des chansonnettes qui rythment le spectacle. Le drame peut alors commencer ; servi par une distribution jeune et dynamique, il sera du début à la fin mâtiné de comédie. Plein d’une subtile autodérision, notamment dans l’excellente scène du travestissement, où Paul se transforme à vue lors d’une séance d’habillage et d’une leçon de bonnes manières. Dans les cris et les rires, les cinq comédiens donnent à voir la peine nécessaire pour la conquête d’un nouveau genre. Et pour l’invention de relations hommes-femmes débarrassées des vieux déterminismes.

Anaïs Heluin

A propos de l'événement

Suzanne, la vie étrange de Paul Grappe
du mercredi 4 avril 2018 au samedi 2 juin 2018
_Le Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris, France

du mardi au samedi à 21h. Tel : 01 45 44 57 34. Durée : 1h15.

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