La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Stanislas Nordey

Stanislas Nordey - Critique sortie Théâtre
Crédit : DR

Publié le 10 mars 2010

Sortir Camus du bagne

Stanislas Nordey met en scène Les Justes d’Albert Camus, avec le désir de rendre sa légitimité théâtrale à une œuvre injustement reléguée et empoussiérée dans l’imaginaire collectif.

Pourquoi choisir Camus ?
Stanislas Nordey : Il est toujours intéressant d’interroger la réputation d’un auteur ou d’une œuvre. Camus n’est pas considéré à sa juste valeur dans l’imaginaire collectif du théâtre public. Il est frappant de constater qu’il est peu ou pas monté depuis des années alors que c’est un grand auteur de théâtre. On l’associe souvent à Sartre, qui est bavard et didactique et qui, pour le coup, lui, n’est pas un homme de théâtre. La structure de cette pièce, en particulier, est extraordinaire. Son écriture, dans sa puissance et sa concision, amène très loin. Je suis très étonné que la génération des metteurs en scène qui précède ait évacué cet auteur qui subsiste essentiellement parce qu’on l’enseigne au lycée, dans une espèce de bagne.
 
Il s’agit donc de le faire redécouvrir…
S. N. : Un peu comme je l’ai fait avec Feydeau, il s’agit de redonner une légitimité à Camus dans l’espace du théâtre public et dans un grand théâtre comme La Colline. Il s’agit de faire réentendre à tous que Camus est un véritable homme de théâtre, pas seulement pour des raisons biographiques, et que le théâtre est au centre de tout son mouvement d’homme. Ce qui me frappe c’est qu’il s’est toujours posé comme artisan, construisant pierre à pierre une œuvre théâtrale qui est forte. Il est évident que c’est une grande œuvre et j’espère que j’arriverai à la faire entendre. Un des enjeux de ce travail est un enjeu de réhabilitation.
 
Que dire alors du reproche souvent fait à cette œuvre d’être datée ?
S. N. : Ce que je viens de dire sur ses qualités formelles lui évite ce reproche. Mais la question des dates est aussi importante. Camus situe Les Justes en 1905, et c’est une indication très importante. Il se penche ainsi sur un moment fondamental : le premier et le dernier moment où des terroristes se sont posé des questions éthiques. Le premier titre de cette pièce était Les Meurtriers délicats : tuer quelqu’un, c’est retirer une vie humaine et on ne tue pas impunément.
 
« Un des enjeux de ce travail est un enjeu de réhabilitation. »
 
Comment Camus juge-t-il le terrorisme alors ?
S. N. : Il ne tranche pas ; il laisse la question ouverte. Face au terrorisme, on est toujours dans une condamnation irrémédiable mais on se pose rarement la question de ce que c’est. C’est cette question qu’examine Camus. Ce qui est beau, c’est que ces cinq jeunes gens s’interrogent sur ce qu’ils sont en train de faire. La pièce est en cela très proche d’un dialogue philosophique. Il ne faut pas oublier qu’à la même époque, Camus écrit L’Homme révolté : ce sont deux variations sur cette même question et c’est vraiment passionnant.
 
Quel parti esthétique avez-vous pris ?
S. N. : L’enjeu esthétique est fort puisque, là encore, l’imaginaire du spectateur associe Camus à une esthétique qui aurait vieilli. Comme je l’avais fait pour Feydeau, j’ai voulu que la scénographie permette de ne pas reconnaître l’attendu et de se laisser emmener ailleurs : un décor proche d’un espace d’art contemporain sans être abstrait et des costumes d’époque pour que la référence à 1905 soit claire. L’idée c’est que le spectateur se trouve en 1905 pour que petit à petit il oublie cette référence et que tout résonne avec aujourd’hui. La pièce, qui est très bien faite dans sa dramaturgie, le permet. Et puis il y a de très belles choses à porter pour les acteurs émotionnellement. C’est pour ça que je relie cette pièce à mon travail précédent sur Incendies qui prenait cette part-là en compte. Ce spectacle est un peu un prolongement, un épilogue, un cousin d’Incendies, non seulement parce que la question du terrorisme y était déjà évoquée, mais aussi parce que je retrouve nombre des comédiens qui faisaient partie de la distribution de ce précédent spectacle. S’y sont adjoints Wajdi Mouawad, Emmanuelle Béart et Vincent Dissez, qui sont des amis, et le tout compose une vraie troupe, une bande comme celle des Justes.
 
Propos recueillis par Catherine Robert


Les Justes, d’Albert Camus ; mise en scène de Stanislas Nordey. Du 19 mars au 23 avril 2010. Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30. La Colline – Théâtre national, 15, rue Malte-Brun, 75020 Paris. Réservations au 01 44 62 52 52.

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