La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Sous les visages

Sous les visages - Critique sortie Théâtre
Crédit : Alain Monot Légende : Agnès s’invente une autre vie, factice et délirante

Publié le 10 mai 2010

Julie Bérès évoque la dureté des conditions de travail par un théâtre sensoriel et onirique qui s’appuie sur un langage scénique original et une remarquable maîtrise du plateau.

Elle était de ceux qui fièrement accomplissent leur devoir salarié, ceux-là qui consciencieusement se fondent dans la tranquille routine ouvrière des anonymes. Et puis un jour, on l’a remerciée, c’est-à-dire licenciée, éjectée. Surnuméraire inutile, pièce défectueuse du système, nuisible à la rentabilité. La voilà soudain privée d’accroche sociale, qui s’oublie devant la télé… Cœur solitaire qui part à la dérive d’un imaginaire phagocyté par les pacotilles médiatiques, dérape dans les trous noirs du conscient et s’enfuit d’un réel trop violent. Son corps se gonfle de toutes les peurs de l’époque incertaine, se déforme sous la menace de la déchéance sociale, de l’oisiveté coupable. Tandis que l’actualité cogne, que les doctes voix ânonnent en boucles la glose économique et les sournois discours de gestion des ressources humaines, elle s’enfonce dans les plis du fantasme jusqu’à ce que le monde se dérobe et se love dans sa chimère. En échos, résonnent les conditions de travail actuelles, la précarité, le stress, la performance obligée, l’angoisse de la perte d’identité…
 
Plongée dans l’inconscient
 
Affranchi des questions de genres disciplinaires, le théâtre de Julie Bérès mixe les techniques et procède par digressions, associations d’images, métamorphoses et métaphores. Il se glisse sous les apparences, par delà les censures de la raison, là où tapagent en liberté les plus intimes obsessions et folles extravagances. S’appuyant sur une scénographie inventive, l’auteur et metteur en scène compose une partition scénique tramée de sons, d’images, de corps et de situations pour donner concrétude au paysage mental de cette femme ensevelie sous le manque, assaillie par les « valeurs » criardes du monde. On y croise, au gré de saynètes délirantes, quelques spécimens de la société du spectacle : une logeuse faussement bienveillante, un animateur mielleusement arrogant, un industriel commercialement cynique, un artiste docilement complice… tous jouent sans vergogne la ridicule pavane sociale. De faux-semblants grotesques en surréalistes décalages, de doux cauchemars en songes burlesques, Sous les visages attrape son sujet par l’expérience sensorielle et la fantasmagorie suggestive… seule échappée finalement subversive.
 
Gwénola David


Sous les visages, conception et mise en scène de Julie Bérès, du 25 mai au 5 juin 2010, à 20h30, relâche dimanche et lundi, au Théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses, 75018 Paris. Rens. 01 42 74 22 77 et www.theatredelaville-paris.com.

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