Grand-peur et misère du IIIème Reich
La compagnie de L’Athanor signe une version [...]
Wajdi Mouawad présente sa dernière création, Sœurs, second opus d’un cycle d’écriture qu’il intitule « cycle domestique », initié avec Seuls en 2008. Un spectacle enthousiasmant et agaçant.
Après Seuls : Sœurs. L’homophonie n’est pas un hasard puisque Wajdi Mouawad poursuit avec cette pièce un cycle de l’intime qui le porte cette fois-ci à s’intéresser au versant sororal de sa famille. C’est donc un mélange de quotidien et de fiction biographique qui habite cette pièce où, comme d’habitude avec l’auteur québécois, l’intime se mêle à l’Histoire et le cours des trajectoires individuelles traverse les frontières d’un monde moderne quelque peu déshumanisé. Seule sur scène, Annick Bergeron incarne tout d’abord le rôle de Geneviève Bergeron, médiatrice en conflits internationaux, qui doit discourir sur l’art et la manière de faire triompher la paix avant de partir au Mali pour chapeauter une négociation entre belligérants. Cependant, au téléphone, tandis qu’une tempête de neige couvre la route entre Montréal et Ottawa, sa mère ne paraît pas comprendre que sa fille ne pourra pas être présente pour les funérailles de l’oncle qui vient de mourir. Conférence, hôtel, Geneviève Bergeron va vivre ce soir une crise existentielle où se déferont les fils qui la tenaient debout jusque là et qui, à l’instar d’une zone de confits, va transformer sa chambre d’hôtel en champs de ruines.
Le monde moderne n’est pas tendre avec l’humain
Deuxième partie : arrivent la femme de ménage, la directrice de l’hôtel, la police puis une experte en assurance, sœur métaphorique de Geneviève, puisqu’elle tente, elle aussi, de réparer les dommages après la bataille. De leur long dialogue naîtra le sens explicite de la pièce. C’est un peu souvent comme cela avec Wajdi Mouawad : les symboles vous sont mis sous le nez et aussi largement commentés. Heureusement que le tempérament quelque peu bavard de l’auteur va de pair avec une audace scénique, une fraîcheur et une inventivité dans les dispositifs de mise en scène à chaque spectacle renouvelés. Ici, Annick Bergeron incarne tous les rôles grâce à une très ingénieuse utilisation de la vidéo. La première partie en forme de comédie cinématographique est parfois hilarante dans le cadre de cette chambre « ultra-technologisée », qui ne veut pas fonctionner en français. Au cœur de cette tranche de vie : les langues qui disparaissent, les liens humains qui se distendent jusqu’à déchirer le tissu familial, et les conflits passés et présents qui hantent des existences de déracinés. Le monde moderne n’est pas tendre avec l’humain et Mouawad le lui rend bien dans une palette de traitements scéniques qui déroute les attentes. Avec un art du contre-pied qui joue avec les désirs du spectateur, et paraît parfois se faire un plaisir de ne pas y céder, Wajdi Mouawad finit toujours par l’emporter.
Eric Demey
à 21h sauf dimanche 12 à 14h30 et samedi 18 à 15h, relâche lundi. Tél : 01 53 65 30 00. Spectacle vu au Grand T en septembre 2014. Durée : 2h10.
La compagnie de L’Athanor signe une version [...]