La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Sale affaire, du sexe et du crime

Ou comment les codes finissent par étouffer l’être dans les désordres de l’ordre.

Publié le 10 avril 2007

Yolande Moreau passe de l’écran à la scène dans la même soirée. L’occasion de
découvrir autrement l’interprète des Deschiens.

C’était dans les années 80. A l’époque, Yolande Moreau n?était pas encore
sociétaire de Jérôme Deschamps et de ses Deschiens. Elle se lançait sur les
planches, bras rougis au sang, robe rayée pur Tergal années 50, masque hideux
découpé dans une toile de James Ensor sur le visage. « Sale affaire !… J’ai
trempé dans un crime !… C’est moche, hein !… Il est mort !… Ça vous fait
rien… Ça vous touche pas ?…. Moi non plus !… »
Ça commençait comme ça.
Cette femme, qui venait tout juste d’assassiner son amant, déballait au public
la banalité banale d’une existence sans vie, plus effrayante encore que son
crime guignolesque. « Je voulais parler du vide, de la folie ordinaire, de la
difficulté d’exister? J’ai écrit le spectacle les après-midi dans les cafés
dansants’
 », se souvient Yolande. Quinze ans plus tard, elle repart sur les
routes, avec son personnage, sa valise et sa chaise. Elle tourne un film avec
Gilles Porte, Quand la mer monte suit l’errance d’Irène, comédienne en
tournée, entre Béthune et Grande-Synthe. Sale affaire évidemment? Le hasard des
routes ? ou les caprices de la mécanique automobile ? – transforme cette
vadrouille solitaire en romance sous la bruine avec un porteur de géants (Wim
Willaert, poignant et drôle).

Bouleversante comédienne

Yolande Moreau relie aujourd’hui ce long métrage, magnifique d’humanité,
couronné de deux césars en 2005 (meilleur premier film et meilleure actrice), et
le spectacle. On découvre donc d’abord le hors-champs de la scène. La réalité
parfois pluvieuse de la vie d’artiste, vaguant de salles des fêtes en maisons de
retraites, d’hôtels désuets en aires d’autoroutes. L’âpreté joyeuse des villes
du Nord industrieux, le quotidien dérisoire des gens de peu, les fêtes au
comptoir. L’envers du décor. La magie de l’amour. Prosaïque et poétique. Puis
vient le spectacle, entraperçu par bribes sur la pellicule. Elle est là, « en
vrai ». On retrouve la robe beige à rayures, le rouge, le sac à main, le poireau
de travers, le masque au long nez. Les répliques aussi. « Poussin et moi…
Une grande histoire d’amour qui commence
 ». Certains spectateurs reprennent
en ch?ur, complices. Et pourtant? Est-ce parce qu’on les a déjà vues ? Les
scènes paraissent moins drôles, le one-man show moins poignant. Peut-être
faudrait-il d’abord découvrir la pièce et ensuite le film. On repart cependant
avec, accroché au coin du c’ur, le regard bleu, peut-être vert, presque
transparent et mystérieux malgré tout, mélancolique et enfantin, de cette
bouleversante comédienne.

Gwénola David

Sale affaire, du sexe et du crime, de et par Yolande Moreau, précédé
du film Quand la mer monte, de Yolande Moreau et Gilles Porte, jusqu’au
28 avril, à 19 h, sauf dimanche 15 h 30, relâche lundi et le 8 avril, 2 bis
avenue Franklin D. Roosevelt 75008 Paris. Rens. 01 44 95 98 21 et
www.theatredurondpoint.fr. Durée : film 1h33 et spectacle 1h.

A propos de l'événement


x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre