La création du « Rêve de Nietzsche » représente incontestablement la proposition musicale la plus surprenante et risquée de l’édition 2011 de Banlieues Bleues. Jean-Rémy Guédon, compositeur, saxophoniste et directeur d’Archimusic, et le rappeur Rocé font ensemble le pari de reprendre à leur compte le rêve fou du philosophe de fondre idées et sons dans une même matière en fusion. Rencontre avec Rocé, rappeur sophistiqué et musicien, en charge de s’emparer vocalement des mots et de la pensée de Nietzsche, qui était aussi, on l’ignore souvent, un excellent musicien et improvisateur.
Dans le paysage du rap actuel, votre ouverture et votre perméabilité à des courants musicaux très variés surprennent forcément. Comment cette densité musicale qui marque votre travail influence-t-elle votre approche vocale et vos textes’
Rocé : Pour créer mes musiques Hip Hop, j’ai eu besoin de piocher dans pas mal de disques de disco et de funk. Je cherchais les disques rares dans des brocantes et vide-greniers avec les collectionneurs. C’est en écoutant ces disques avec eux, que la funk m’a emmené vers la soul, puis la soul vers le jazz et le blues. Ce qui m’a intéressé, c’est que ces musiques étaient trop complexes pour en extraire une partie. Et c’est devenu mon challenge ! Pour les textes, l’écriture rap est très centrée sur le rythme. Mon approche reste donc la même tant que les rythmes sont binaires et répétitifs, comme dans la majeure partie des styles musicaux. Je n’ai donc aucun mal à m’adapter. Sur ce plan, le défi a été de tester l’interprétation sur du free jazz ou du rock progressif, des musiques sur lesquelles la rythmique peut être évolutive…
« Transporter les gens dans notre univers. Comme Nietzsche transporte le lecteur dans le sien »
Comment a eu lieu la rencontre avec Jean Rémy Guédon?
R. : C’est lui qui m’a contacté. Je pense qu’il a su que j’avais fait des petites études de philosophie et que je parlais de Nietzsche dans un de mes morceaux (ndlr : « Poète chez les philosophes, philosophe chez les poètes, Nietzche aurait pu être le summum chez les rappeurs. Sans concession, le verbe cru, la poésie aux métaphores cassantes et au rythme sévère… Il est l’artiste comme on n’en fait plus »)
Qu’avez-vous en commun avec lui au-delà des questions de styles et de générations ?
R. : On a déjà une passion commune pour Nietzsche ! On travaille un peu de la même manière sur ce projet, en laissant beaucoup de place au feeling pour ne pas tomber dans le piège de faire quelque chose d’indigeste et explicatif. On part tous les deux du principe qu’il faut réussir à transporter les gens dans notre univers. Comme Nietzsche transporte le lecteur dans le sien.
Comment est né ce projet de création autour de Nietzsche?
R. : Ce projet est une idée de Jean-Remy Guédon. Je suis arrivé dans le projet alors qu’il était déjà en train de bosser dessus. Concrètement, je choisis des passages entiers extraits des œuvres. Je ne change pas une virgule au texte initial. Je m’impose cette contrainte car il n’y a rien de pire pour l’auditeur que de ne pas savoir exactement ce qu’il écoute. Par contre, je conserve toute ma liberté pour l’interprétation. C’est là que réside toute la difficulté du projet. Nietzsche n’écrivait pas en prose et il faut plusieurs pages pour qu’il nous entraîne dans son univers. Nous à l’inverse, nous avons un temps restreint. Ce n’est pas facile mais j’aime les challenges comme celui-ci. J’ai pour moi l’entraînement de la diction et de la prestance, et, avec Jean-Remy, nous avons de très bons musiciens à nos côtés. Maintenant, c’est à nous de jouer !
Propos recueillis par Jean-Luc Caradec
Lundi 21 mars à 20h30 à la Dynamo de Pantin (93). Tél. 01 49 22 10 10. Places : 16 €. En première partie : le quartet du saxophoniste Emile Parisien.