La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2009 Entretien / Christian Schiaretti

Résister à la déploration par l’action

Résister à la déploration par l’action - Critique sortie Avignon / 2009

Publié le 10 juillet 2009

Président du SYNDEAC entre 1994 et 1996, directeur du TNP de Villeurbanne depuis 2002, Christian Schiaretti interroge de façon féconde les enjeux politiques du théâtre et de l’époque en praticien du langage.

Pensez-vous qu’on puisse parler actuellement de crise de la culture ?
Christian Schiaretti : Formulation peu habile. Par essence, la culture ne saurait être en crise, elle émane de nos usages. On l’institutionnalise en la pensant en crise. En revanche, il y a une divagation de notre République et de la définition d’un service public de la culture. Mais ramener les problèmes budgétaires à une crise de la culture, c’est forcer le concept ! Sont en crise les raisons profondes d’une détermination républicaine à mettre à disposition des pratiques artistiques. Et ce du point de vue des artistes eux-mêmes. Je ne suis pas certain que la nature, le lien, le contrat qui doivent fonder une direction culturelle soient clairs et conscients. On procède par coups d’Etat, par prises de fonctions impulsives. Tout cela est accompagné par le Ministère et pratiqué par chacun ! Depuis l’Elysée, on jette des morceaux de viande aux affamés. Faut-il manger ou pas ? Pour moi, c’est une grâce de ne pas avoir été choisi, presque une distinction. A force de fonctionner à la récompense, on tourne au mécénat d’Etat et le Ministère a une difficulté à identifier nos vocations. Pour preuve l’orthodoxie administrative par exemple, qui oblige les directeurs des CDN à s’en aller au bout de trois mandats alors qu’il faut longtemps pour apprendre à diriger un tel outil. On décapite plus vite qu’on n’active les naissances. A plus ou moins court terme, on risque de condamner les outils faute de directeurs. Une telle situation engendre individualisme et courtisanerie et ruine le collectif. Mais les artistes sont aussi responsables que l’Etat. C’est à nous d’inspirer l’Etat !
 
« L’alarmisme nous empêche d’avoir un regard et un discours sur nous-mêmes. »
 
Où est le danger alors ?
C. S. : Ce qui est en danger ce sont nos outils et une certaine idée de la République. Parler de culture en danger suppose une officine malsaine suspecte de persécution et je n’aime pas cette idée d’un bureau de la malveillance. Tout cela pousse tout seul et le danger est en nous ! Ce serait une grâce à faire à la situation d’y voir une volonté politique. Les choses fonctionnent de façon beaucoup plus déraisonnée que cela et nous ne sommes pas au bout de nos peines ! Ce qui est à l’abandon et touche à la vocation du théâtre populaire et de la perception qu’on peut avoir du partage, c’est cette République qui avait un projet pour l’homme.  Le statut dévalué de la langue en est aujourd’hui l’écho : le partage rhétorique est populaire. Ce qui est battu en brèche ne l’est pas seulement du point de vue institutionnel mais trouve des allées chez nous et parfois même dans nos spectacles.
 
Quels sont les éléments qui, selon vous, empêchent la résistance ?
C. S. : Il y a une perte de mémoire et un manque de respect entre nous. D’où la difficulté de l’allant collectif. La compétition remplace l’émulation, le colloque remplace le débat, la séduction le concours. Et sur le fond, nous sommes installés dans quelque chose de faussé qui confond engagement politique et déploration sur le monde où l’alarme remplace la volonté politique agressive. Evidemment que les réductions budgétaires sont alarmantes, évidemment que certaines situations sont difficiles et certains fonctionnements devenus impossibles. Mais l’alarmisme nous empêche d’avoir un regard et un discours sur nous-mêmes. Nous autres artistes, qui ne sommes pas seulement décoratifs et superfétatoires, nous devons réinventer nos moyens constamment : si on nous ôte le plateau, nous grimperons sur la table, si on nous retire la table, nous jouerons sur nos pieds, et si on nous coupe nos pieds, il nous restera nos mains ! Voilà ce qui nous regarde !
 
Propos recueillis par Catherine Robert

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