La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2013 Entretien / Sylvie Pflieger

Pour une nouvelle gouvernance de la politique culturelle

Pour une nouvelle gouvernance de la politique culturelle - Critique sortie Avignon / 2013 Avignon
Crédit : Studio Arlequin Légende : Sylvie Pflieger

Publié le 26 juin 2013 - N° 211

Sylvie Pflieger est maître de conférence en économie à l’université Paris Descartes. Auteur de La culture. A quel prix ?*, elle analyse les enjeux et les perspectives de notre modèle de financement public des secteurs de la culture.

Quelles sont, depuis le milieu du XXème siècle, les grandes périodes qui ont marqué l’évolution du financement des secteurs de la culture en France ?

Sylvie Pflieger : Si Jean Vilar a été le premier à émettre le souhait que le budget du ministère de la culture représente 1% du budget général de l’Etat, il a fallu plusieurs décennies pour que ce seuil soit atteint. Ainsi, ce pourcentage était voisin de 0,40% pendant le ministère d’André Malraux, puis a connu une première hausse de 1973 à 1979, oscillant entre 0,55 et 0,60%, cette augmentation s’expliquant en grande partie par « l’effet Beaubourg » (dépenses d’investissement). Ce n’est qu’à partir des années 1980 que l’on a pu observer une augmentation très forte de ce budget, qui est passé de 0,47% en 1981 à 0,76% en 1982, le budget général de l’Etat étant lui-même en expansion en 1982. La priorité alors clairement affichée était d’aboutir au « 1% », objectif que l’on peut grossièrement considérer comme atteint à partir du milieu des années 1990. Depuis les années 2000, le niveau global des dépenses culturelles de l’Etat a été préservé,  « sanctuarisé »,  jusqu’au budget 2013 qui marque une rupture avec les discours dominants depuis 30 ans. Par ailleurs, il faut souligner que les années 1980 ont été d’autant plus « fastes » que les collectivités territoriales ont elles-mêmes augmenté leurs dépenses culturelles, en valeur absolue et en part relative de leurs budgets, jusqu’au milieu des années 1990.

Notre modèle de financement public de la culture est-il, selon vous, moribond ?

S. P. : Oui, il semble, aujourd’hui, effectivement moribond. Il y a d’abord un problème général de baisse des financements publics dans un contexte de crise économique et de nécessité de rigueur budgétaire, problème qui touche la culture au même titre que d’autres secteurs. Mais au-delà de cet aspect conjoncturel, il y a aussi la question de l’évolution des modes de consommation culturelle, qui passent de plus en plus via Internet, notamment chez les plus jeunes, ce qui remet en cause le modèle dominant depuis Malraux. Enfin, il y a un problème de projet politique et de gouvernance qui ne semble pas résolu : quels doivent être les rôles respectifs de l’Etat, des collectivités territoriales ? Quel est l’avenir des financements croisés, des partenariats entre les différents échelons territoriaux ? Qu’attend-on du développement des métropoles urbaines, ou de l’émergence de nouvelles formes de financement privé comme le financement participatif ou « crowd funding » ?

« Les secteurs de la culture ne peuvent survivre en suivant les seules lois du marché. »

Les secteurs de la culture peuvent-ils, de votre point de vue, survivre à un désengagement financier de l’Etat et des collectivités territoriales ?

S. P. : Les secteurs de la culture, et plus particulièrement celui des arts de la scène, sont des secteurs économiquement fragiles qui ne peuvent survivre en suivant les seules lois du marché. Parmi les arguments avancés figure d’abord le fait que les secteurs culturels sont des secteurs pour lesquels le niveau de risque est très élevé. Nul ne peut prédire à l’avance le succès ou l’échec de la « mise sur le marché » d’un bien ou service culturel. Un autre argument, développé notamment dans les années 1960 à propos du spectacle vivant, est celui de la « maladie des coûts » (loi de Baumol), qui implique que ce secteur serait voué au déficit permanent, les coûts de production étant en augmentation constante alors qu’il est difficile, voire impossible, d’augmenter les recettes. Enfin, le dernier argument, plus général, est la caractéristique de « bien tutélaire » liée à la culture : chacun a le droit d’accéder à la culture (« Rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français » selon les termes du décret d’investiture du ministère des Affaires Culturelles de 1959). Il y a donc une nécessité de mener une démarche prospective pour réfléchir à un nouveau « modèle d’affaires » pour ce secteur, modèle qui assurerait tout à la fois la diversité et l’indépendance de la création artistique, et l’accessibilité du public à celle-ci (en faisant en sorte que le prix ne soit pas un frein).

Un « choc culturel », c’est-à-dire un réengagement massif de l’Etat et des collectivités territoriales en faveur des secteurs de la culture pourrait-il, selon vous, constituer un élément de relance économique ?

S. P. : Là on renverse la problématique d’une certaine manière. Il ne s’agit plus de savoir si notre « modèle culturel actuel  » va survivre sous l’hypothèse d’une baisse, voire d’un  arrêt des financements publics, mais si la culture peut au contraire en tant que source de créativité et de par sa contribution à la formation de capital social, devenir le levier d’un développement économique futur. La culture n’aurait ainsi plus à être soutenue pour elle-même, comme valeur intrinsèque, mais pour ses « valeurs extrinsèques ». C’est effectivement une ouverture vers un nouveau mode de développement soutenable qui repose sur la créativité inhérente au secteur artistique, créativité dont on attend qu’elle irrigue l’ensemble de l’activité économique et qu’elle en devienne le moteur. L’objectif alors ne serait plus de fabriquer des objets matériels, mais de produire et diffuser de l’expérience. Cette alternative est d’ailleurs à rapprocher des débats actuels sur la pertinence du  produit intérieur brut comme indicateur de croissance économique. Cette perspective renforce de fait la nécessité de réfléchir à une nouvelle gouvernance de la politique culturelle.

 

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

 

* Ellipses, 2011.

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