La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Platonov

Platonov - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Colline
Emmanuelle Devos rejoint le collectif Les Possédés dans Platonov. CR : Jean-Louis Fernandez

Théâtre de la Colline / de Tchekhov / mes collectif les Possédés

Publié le 17 décembre 2014 - N° 228

Platonov, mis en scène par les Possédés et à leur tête Rodolphe Dana, traverse tous les registres de la pièce de Tchekhov, quitte à flirter avec le vaudeville.

Mais que leur a-t-il donc fait ? Pourquoi les femmes sont-elles toutes si puissamment attirées par Platonov ? Platonov traîne certes dans son sillage l’aura de l’étudiant qu’il a été : un jeune homme prometteur et cultivé, plein d’idéaux, avide de changer le monde, qui éblouissait par sa culture et sa conversation (d’où son nom qui évoque celui du philosophe Platon). Mais aujourd’hui, ce modeste instituteur marié et père d’un enfant charrie surtout ses désillusions et renoncements successifs dans un désespoir mondain et alcoolisé. Platonov est la première pièce qu’a écrite Tchekhov, à dix-huit ans seulement ! Tout y est de ce qui alimentera son œuvre à venir, et notamment ce monde qui bascule à la cheville du siècle nouveau, dans une modernité où la noblesse est déchue, où le nihilisme gagne du terrain faute de nouvelles valeurs hors celle de l’argent triomphant. Le collectif les Possédés avait démarré son histoire avec Oncle Vania et, tel un personnage tchekhovien, revient donc vers ses premières amours après dix années d’exil. Il a pour l’occasion intégré Emmanuelle Devos en son sein, qui incarne la respectable Générale.

Collision des désirs

Elles, une primesautière étudiante en chimie et un ancien amour de jeunesse sur le point de se marier, se passionnent donc pour Platonov lorsque celui-ci est de retour en ville avec sa compagne. On comprend d’autant mieux l’effet que peut produire sur ces femmes le spectacle d’une belle âme blessée par la vie que les hommes alentour ne sont pas à la hauteur. Platonov a au moins pour lui l’épaisseur, la profondeur de celui qui un jour s’est rêvé une vie autre. Mélange affadi de Don Juan, pour son  »amour » de toutes les femmes, et d’Hamlet pour son caractère torturé et velléitaire, il se transforme cependant petit à petit en un vulgaire mari de vaudeville dépassé par les intrigues amoureuses dans lesquelles il se compromet. Plus pathétique qu’émouvant donc, Platonov cristallise dans cette mise en scène toute la médiocrité de l’univers déclinant dépeint par Tchekhov. Le collectif a tranché dans un texte fleuve (montée entièrement, la pièce durerait six heures) : ici ce n’est pas le fameux ennui qui est à l’honneur mais la rapide collision des désirs. Chaque personnage abat ses cartes, offrant aux comédiens de cocasses partitions dans la moderne traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan. L’ensemble manque un peu d’unité mais pas de belles prestations. Marie-Hélène Roig, dans le rôle de l’épouse trahie de Platonov, fait par exemple superbement émerger l’émotion dans une communauté où la bassesse humaine est plus drôle qu’émouvante. Le tragique y perd globalement ce qu’on y gagne en comique. L’ordinaire désolant de nos vies est risible et rythmé. L’ensemble incisif et intelligent ôte cruellement à l’Homme la seule grandeur qui lui restait  : celle de son désespoir.

 

Eric Demey

 

A propos de l'événement

Platonov
du jeudi 8 janvier 2015 au mercredi 11 février 2015
Théâtre de la Colline
15 Rue Malte Brun, 75020 Paris, France

Du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h. Tél : 01 44 62 52 52. Durée : 3h30 avec entracte. Spectacle vu au Grand T à Nantes. Puis tournée.

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