La Terrasse

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Théâtre - Critique

Photo-romance

Photo-romance - Critique sortie Théâtre
Crédit : Sarmad Louis Légende : Lina Saneh et Rabih Mroué rejouent leur « journée particulière »

Publié le 10 avril 2010

Lina Saneh et Rabih Mroué projettent Une journée particulière dans le Liban d’aujourd’hui. Un spectacle politiquement grinçant et drôlement stimulant !

« Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ou fictives est fortuite. ». L’avertissement barre d’un rang de lettres capitales l’écran qui coupe la scène. Et d’un trait d’humour va pointer là où ça va jouer : aux entournures de la représentation, déjouant le théâtre pour mieux en jouer. L’avertissement vaut aussi railleuse rhétorique d’usage au Liban, où la censure n’a pas désarmé, où toute autorité religieuse peut intervenir auprès des pouvoirs publics pour demander l’interdiction d’une œuvre qui lui paraît en désaccord avec sa propre doctrine. Lina Saneh et Rabih Mroué en ont déjà subi les coupantes conséquences… Habiles en détournements comme en retournements, ces trublions de la scène libanaise semblent d’ailleurs avoir tiré d’expériences le dispositif à l’œuvre dans Photo-Romance et se glissentderrière la fiction : une certaine Lina Saneh, artiste, expose en effet à un certain Rabih Mroué, membre de la commission de censure, son projet de film inspiré du chef-d’œuvre d’Ettore Scola, Une journée particulière, afin d’obtenir l’autorisation.
 
Jeux de fiction
 
L’action se situerait dans le Beyrouth d’aujourd’hui, durant une manifestation qui, à l’instar de la grande parade fasciste qu’évoque le cinéaste italien, rassemblerait toute la ville dans les rues. « On a bien réfléchi et on en a trouvé aucune », commente-t-elle. Pragmatique, elle opte pour deux manifs opposant deux camps, situation plus conforme à la tradition de pointillisme politique libanais. Pendant cette monstrueuse pavane, une femme au foyer, d’un milieu proche du Hezbollah, envahie par ses soucis familiaux, sociaux et religieux, rencontrerait un ancien militant de gauche, en décalage avec la réalité sociale et politique d’un Liban écartelé entre des extrêmes fondamentalistes et ultra-capitalistes. Et Lina Saneh d’expliquer le déroulé et les enjeux du film, montage photos noir et blanc à l’appui, tandis qu’un troisième compère Charnel Haber fait la bande-son. Ce procédé de mise en abyme mariant le vrai-faux, ludique autant qu’acerbe, révèle le poids écrasant de la communauté, les hypocrisies politiques, l’emprise religieuse, le fascisme rampant, le machisme à peine voilé, la difficulté de l’Histoire dans un pays qui ne veut pas se souvenir. Et décoche au passage quelques savoureuses piques sur la narration dramatique, le rôle de l’art et la notion d’originalité. Quelle forme esthétique pour dire l’impossibilité d’un pays de constituer (raconter) son histoire ? Lina Saneh et Rabih Mroué répondent par une performance théâtrale sans cesse dialectique, critique… tout en désamorçant toute pompeuse leçon de choses. Ils œuvrent en manipulant à vue les codes de leur art, en s’en amusant aussi. Et c’est drôlement stimulant.
 
Gwénola David


Photo-Romance, conception et mise en scène de Lina Saneh et Rabih Mroué, du 13 au 24 avril 2010, à la Grande Halle de la Villette, Parc de la Villette, 75019 Paris. Rens. 01 40 03 75 75 et www.villette.com. Spectacle en arabe surtitré en français. Spectacle vu au Festival d’Avignon 2009. Durée : 1h15.

A propos de l'événement


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