La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Philippe Adrien

Philippe Adrien - Critique sortie Théâtre
Photo : Le metteur en scène Philippe Adrien Photo Lot

Publié le 10 septembre 2009

Tableau implacable et drolatique de la colonisation

Philippe Adrien crée Le Projet Conrad à partir d’Un avant-poste du progrès, nouvelle de l’auteur de Au cœur des Ténèbres sur les prémices de la colonisation en Afrique équatoriale à la fin du 19ème siècle. Une peinture acerbe de l’entreprise coloniale et de son humanité perdue. Aux colonisés d’hier succèdent les immigrés d’aujourd’hui, et les débats historiques ou intimes sont loin d’être clos.

« En toile de fond, l’ère industrielle et l’idéologie de l’occident chrétien : humanisme bien sûr, mais aussi esprit de conquête, avidité sans mesure, et cette idée que les blancs appartiennent à une race supérieure. »
 
Votre ProjetConrad relève du théâtre dans le théâtre. On y voit une compagnie en train d’adapter pour la scène la nouvelle de Joseph Conrad Un avant-poste du progrès.
Philippe Adrien : La proposition consiste à mettre en scène le travail théâtral aussi bien que l’adaptation de l’œuvre elle-même. La troupe est composée d’acteurs africains et européens. Le public assiste aux débats internes occasionnés par les questions liées au colonialisme et au racisme, aux répétitions de la pièce, puis à un premier filage. Cette idée a pris corps alors que j’étais au Congo Brazzaville et que je lisais la nouvelle de Joseph Conrad tout en admirant le spectacle du grand fleuve qui passait sous mes fenêtres. Un avant-poste du progrès, à la fois modeste et dramatique, est un schéma inaugural qui pose les figures et les conditions des prémices de la colonisation. En toile de fond, l’ère industrielle et l’idéologie de l’occident chrétien : humanisme bien sûr, mais aussi esprit de conquête, avidité sans mesure, et cette idée que les blancs appartiennent à une race supérieure.

Comment débute la colonisation à la fin du 19ème siècle ?
Ph. A. : Dans les années 1880-1890, il n’y a sur les côtes africaines que des comptoirs et rien à l’intérieur, les Européens n’ont pénétré le continent que pour le beau motif de l’esclavage. À partir de cette époque pourtant, quelque chose de nouveau advient à la suite des expéditions de Stanley et autres. La Compagnie commerciale belge du Roi Léopold met en place cet avant-poste du progrès avec les velléités humanitaires qui accompagneront la colonisation : constructions d’écoles, d’hôpitaux, d’églises et évangélisation de la population. La nouvelle de Conrad est lapidaire et implacable, c’est une vision âpre et pessimiste de la nature humaine. On y voit surgir un projet consistant à anéantir cette race « inférieure », à « exterminer toutes ces brutes » ou encore « tous ces nègres, pour enfin pouvoir vivre ici ! ». 

Qui sont les Européens qui viennent s’installer sur les rives du fleuve africain ?
Ph. A. : Deux Belges, – ces « hommes superflus » selon Hannah Arendt -, ont été missionnés les premiers sur ces territoires de la future colonie. Ils sont employés par l’entreprise commerciale belge, installés au bord du fleuve pour récupérer de l’ivoire en échange de babioles. Ils représentent la bêtise à l’état pur, qui ne veut rien savoir des langues ni des cultures autochtones. Les répétitions de la pièce commencent en octobre 2008, au moment où Obama vient d’être désigné comme candidat démocrate officiel à la présidence américaine. Une candidature qui entre en résonance avec le texte de la pièce et avec la fracture entre colonisés et colonisateurs. Un symbole fort…
 
Propos recueillis par Véronique Hotte


Le Projet Conrad, Un avant-poste du progrès, d’après Joseph Conrad, mise en scène de Philippe Adrien, du 17 septembre au 25 octobre 2009, du mardi au samedi 20h, dimanche 16h, supplémentaire le 3 octobre à 15h30, relâche mardi 6 octobre au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie 75012 Paris Tél : 01 43 28 36 36 www.la-tempete.fr

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