Au secours ! les mots m’ont mangé
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La jeune directrice du Théâtre des Clochards Célestes, à Lyon, met en scène la Phèdre de Sénèque avec la troupe de la Comédie-Française. Un spectacle démonstratif qui confond expressivité et exhibitionnisme.
Ils tremblent. Ils soupirent. Ils grimacent. Ils déclament. Ils lèvent les yeux au ciel. Sans jamais laisser prendre du champ aux sentiments. Aux émotions. Chargeant leurs personnages d’une surexpressivité permanente. Bien sûr nous sommes chez Sénèque, non chez Racine ou Euripide. Et le récit des destins de Phèdre, Hippolyte et Thésée élaboré par l’auteur romain au premier siècle de notre ère est une œuvre aux accents sauvages, aux élans bruts et lyriques. Mais fallait-il de la sorte, quasiment de la première à la dernière réplique, traduire le caractère paroxystique de ce texte par le biais d’un registre d’interprétation aussi démonstratif ? Jouant la carte du ton sur ton, Louise Vignaud signe une mise en scène qui enferme la plupart de ses interprètes dans le surjeu et l’emphase. Comme l’explique la traductrice Florence Dupont dans la préface du Théâtre complet de Sénèque réédité par Actes Sud en 2012, les neuf tragédies du dramaturge romain qui sont parvenues jusqu’à nous « mettent en scène des personnages [sortant] des limites de l’humanité pour se transformer en héros monstrueux ». Plutôt que des monstres, ce sont des êtres caricaturaux que fait apparaître Louise Vignaud dans ce spectacle sans nuance.
Quand trop d’expressivité tue l’expressivité
Quelques notes discordantes viennent néanmoins affiner cette proposition. Claude Mathieu, qui incarne la Nourrice, échappe aux effets d’hyperbole pour imposer de beaux éclats de sobriété et d’intériorité. Nâzim Boudjenah, quant à lui, réussit peu à peu à sortir de l’ornière en conférant au rôle d’Hippolyte une candeur toute personnelle. Mais Jennifer Decker (Phèdre), Thierry Hancisse (Thésée) et Pierre Louis-Calixte (le Chœur) s’enferrent dans une partition qui non seulement nous met à distance du trouble que devraient faire surgir leurs personnages, mais masque de surcroît la beauté du texte français de Florence Dupont. « Je pleure en lisant son théâtre d’inspiré, confiait Antonin Artaud à propos de Sénèque, et j’y sens sous le verbe des syllabes crépiter de la plus atroce manière le bouillonnement des forces du chaos. » En se contentant d’une vision au premier degré de cette Phèdre à vif, Louise Vignaud anesthésie en quelque sorte la puissance et la grâce de ce bouillonnement. Et lamine l’intensité poétique d’une œuvre qui semble tout à coup platement conventionnelle.
Manuel Piolat Soleymat
Du mercredi au dimanche à 18 h 30. Durée de la représentation : 1h25. Tél. : 01 44 58 98 58. www.comedie-francaise.org
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