Aurore Fattier nous présente un » Dindon » truffé d’éclats de rire insolents et iconoclastes
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Sylvain Creuzevault s’empare du magma palpitant que constitue Pétrole, dernière œuvre inachevée de Pasolini, et la porte au plateau : une création collective puissante et fascinante, explosive et féconde.
A l’instar de Dante passant la porte de l’Enfer, on abandonnera tout espoir de linéarité, d’unité narrative et de limpidité immédiate, et on acceptera d’aller de cercles en bolges, de scandales en horreurs, guidé par les avatars du poète assassiné, il y a presque exactement cinquante ans, sur la plage d’Ostie. Sylvain Creuzevault et les siens sont de grands artistes : ils ne se contentent donc pas de transcrire l’œuvre de Pasolini sur scène, mais rivalisent avec lui. On ne comprend pas forcément tout, d’autant qu’il faudrait avoir une connaissance historique précise des années de plomb, qui ensanglantèrent l’Italie, pour saisir les détails des enjeux politiques qui servent de toile de fond à cette fresque foisonnante. Cela dit, on admettra que la clarté et la simplicité sont rarement la marque des œuvres les plus fécondes, et qu’on ne fréquente pas les théâtres pour y retrouver ce qu’on sait déjà ou qu’on croit d’abord. Pétrole est une œuvre rude : les corps y parlent autant que les mots, et l’entendement doit recourir à la sensibilité pour y éprouver le plaisir spectaculaire attendu, d’autant que Sylvain Creuzevault y dynamite, à l’instar de Pasolini lui-même, tous les pactes tacites de la réceptivité.
Démons et possédés
Ce qui se donne à voir laisse bouche bée. On est sidéré par le talent éclatant des interprètes (Sharif Andoura, Pauline Bélier, Gabriel Dahmani, Boutaïna El Fekkak, Pierre-Félix Gravière, Anne-Lise Heimburger, Arthur Igual et Sébastien Lefebvre) qui sont à l’écran et sur la scène avec une même confondante vérité. Ils jouent ensemble avec une jubilation rare, sans jamais aucune fausse note, malgré la kyrielle de personnages qu’ils incarnent. On est saisi par l’efficacité suggestive de la scénographie de Jean-Baptiste Bellon et Valentine Lê, les lumières de Vyara Stefanova, la musique et le son de Pierre-Yves Macé et Loïc Waridel et la vidéo de Simon Anquetil. Sylvain Creuzevault (assisté par Emilie Hériteau et Ivan Marquez) mène le sabbat des démons et des possédés de main de maître. D’un côté les affres érotiques de Carlo Second, chibre à l’air et gitons à portée de bouche, de l’autre l’ascension spectaculaire de Carlo Premier, frayant avec la racaille capitaliste et ses valets de l’intelligentsia, les dictateurs pétroliers, les adeptes de la stratégie de la tension, les industriels recyclant le fascisme et autres infernales abominations qui firent le monde dont hérite et que reconduit celui d’aujourd’hui. Et, à la fin, la conviction, comme une évidence, qu’il vaut mieux être possédé par un amant que vouloir posséder le monde : plutôt Christ aux paumes rougies que Pilate se lavant les mains dans le sang et l’or noir… Il est probable que Pasolini a été tué à cause de Pétrole, une partie de son texte ayant disparu avec lui. Il faut donc saluer le courage de ceux qui continuent à rendre cette œuvre vivante : son traducteur en français, René de Ceccatty, la Scène nationale d’Annecy qui accueille la création du spectacle, tous ceux qui s’associent à sa diffusion, Sylvain Creuzevault et son équipe, qui continuent de parier sur l’intelligence et la résistance du public.
Catherine Robert
à 19h.
Tél. : 04 50 33 44 11.
Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, 75006 Paris.
Du 23 novembre au 21 décembre (dans le cadre du festival d’Automne à Paris).
Du mardi au samedi à 19h30, le dimanche à 15h.
Tournée :
Comédie de Saint-Etienne, CDN, du 24 au 27 février 2026 ; Comédie de Reims, CDN, du 20 au 21 mai ; Théâtre Vidy-Lausanne, du 3 au 5 juin ; tournée à l’automne 2026. A la Commune d'Aubervilliers, Pavillon auteur Pasolini, programme imaginé par Sylvain Creuzevault, du 22 au 31 janvier 2026.
Durée : 3h30 avec entracte.
A partir de 16 ans.
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