La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Paul Fructus et Daniel Briquet

Paul Fructus et Daniel Briquet - Critique sortie Théâtre
Paul Fructus

Publié le 10 septembre 2009

L’exil, la rage, le rêve d’après Victor Hugo

Paul Fructus, adaptateur et acteur incarnant tous les personnages, et Daniel Briquet, metteur en scène, s’emparent des Travailleurs de la mer (1866), écrit en exil à Guernesey par Victor Hugo. On y voit le marin solitaire Gilliat partir à la recherche du moteur intact d’un navire échoué, par amour d’une femme. L’océan est superbement décrit, au fil d’une quête solitaire et titanesque.

Pourquoi avoir choisi ce roman de Hugo, qui montre la bataille du marin Gilliat contre la mer et contre lui-même, plutôt qu’un autre ?
 
PF : Dans l’œuvre romanesque de Hugo, Les Travailleurs de la Mer clôt le triptyque d’une fatalité. Avec Notre Dame de Paris et Les Misérables, l’auteur avait créé des héros écrasés par le dogme ou par la loi. Le marin Gilliat, être solitaire et « mal né », supporte en plus la charge d’une troisième fatalité qui le libère et le tue  : une lutte à mort avec un paysage intérieur, les songes et un personnage extérieur, la mer.
DB : Une triple fatalité et un nouveau chant « d’ amour impossible ». Gilliat, dans son combat et le surpassement de lui-même, face au monde et à son amour, nous semble le plus complexe et le plus attachant. Le plus mystérieux aussi.
 
 « Hugo fait du cinéma avant l’heure. Mais un cinéma parlant, poétique et politique. » Paul Fructus   
 
Quelle dimension – sociale, épique, amoureuse, politique – avez-vous voulu donner à cette lutte du marin ?
 
PF : L’épique pour l’enfant qui reste en nous, le politique pour l’humain que nous tentons de préserver. Hugo met tous les fers au feu. Comme la forge de Gilliat en pleine tempête, le souffle épique ne faiblit pas, attise la colère contre le malheur humain. De cette bataille fantasmagorique où tous les coups sont permis,  on dirait aujourd’hui : « c’est du cinéma ». Et c’est vrai, Hugo fait du cinéma avant l’heure. Mais un cinéma parlant, poétique et politique.
 
DB : Malgré sa démesure, cette lutte est celle de chacun, qui tente de s’en sortir avec ses propres et pauvres moyens. L’art de Victor Hugo est, entre autres, de jeter des ponts entre la solitude de ses héros et nous.
 
Comment apparaît la mer dans la pièce ?
 
PF : Un océan fait de tout ce que la houle donne et reprend : le bois éclaté des épaves, la rouille qui ronge les chaînes, les filets déchirés. Mais aussi un océan sonore et acteur du drame. L’eau et la roche prennent forme humaine (ou inhumaine) dans l’imaginaire de Hugo.
DB : Les musiciens ont énormément apporté à cet univers en créant  ce personnage aquatique et minéral. La mer est un refuge et une malédiction. Elle a forgé l’âme de Gilliat, son courage et sa force. Mais elle reprend tout ce qu’elle donne, impitoyable.
Peut-on établir un parallèle entre le héros du roman et Hugo lui-même ? Quel sens donne l’auteur à la liberté dans son roman ?
 
PF : La réponse est en partie dans le sous-titre de l’adaptation : l’exil, la rage, le rêve. Quand il achève Les Travailleurs de la Mer, l’auteur de Napoléon le Petit est en exil à Guernesey depuis plus de douze ans. Il ne retournera en France que sept ans plus tard. Nul doute que Gilliat, le marin vivant à l’écart de la communauté humaine, est le personnage le plus proche de Hugo le proscrit. Au fil des saisons l’auteur et le personnage ont été nourris par les mêmes caprices de la mer, les mêmes rêveries érotiques, les mêmes douleurs. On ne peut pas oublier que Gilliat connaîtra la même fin que la fille de Hugo, Léopoldine, morte noyée, à qui Hugo avait adressé ces quelques mots  : « …Et puis, mon ange, j’ai tracé ton nom sur le sable : DIDI. La vague de la haute mer l’effacera cette nuit…. » Enfin, j’avoue avoir eu un malin plaisir à déceler entre les lignes de « cet hommage au noble petit peuple de la mer » un brûlot de plus lancé depuis Guernesey dans la cour élyséenne de « Naboléon » .
 
 DB : Pour Hugo, je crois, la liberté est une chimère et un combat permanent. On ne peut pas être libre, mais il faut le vouloir, de toutes ses forces. Hugo partage avec Gilliat l’exil et la solitude ; et, comme lui, il n’attend aucune rédemption de la part des hommes.
 
Comment avez-vous procédé pour l’adaptation du roman ? Combien de personnages se retrouvent sur la scène et qui sont-ils ?
 
DB : Le grand mérite de l’adaptation de Paul, c’est d’avoir su tenir la démesure et la profonde humanité de l’œuvre. Cela permet à l’acteur Fructus d’incarner tous les protagonistes de l’histoire, et il y en a ! Marins, prêtres, hommes d’affaires, habitants de Guernesey, femmes et filles, gentils et méchants, tout un monde. Un monde qui vit et qui meurt pour et par la mer.

Propos recueillis par Agnès Santi


Les travailleurs de la mer, l’eil, la rage, le rêve d’après Victor Hugo du 17 septembre au 21 novembre les jeudi, vendredi et samedi à 19h00 au Théâtre Clavel, 3 rue Clavel, 75019. Location 06 42 46 78 46 ou www.fnac.com

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