Programme « Dialogues II » autour des chorégraphes Mats Ek, Akram Khan, Sharon Eyal et Samantha Lynch
La fine fleur des chorégraphes contemporains [...]
Danse contemporaine - Critique
De l’impression à la sensation, la danseuse Dalila Belaza et le guitariste Serge Teyssot-Gay font œuvre commune. Un acte profondément incarné au-delà de la forme, au-delà de la beauté, qui exerce à un juste endroit la question de la perception.
Un trait de lumière mobile scanne le plateau silencieux jusqu’à son corps qui se déplie. Elle tressaille, dans le rythme des cinq doigts de Serge Teyssot-Gay qui accrochent sa guitare. Aucune note ne s’en dégage, plutôt un grondement sourd, composé de multiples et infimes altérations. Dalila Belaza, face public, les pieds bien ancrés dans le sol, s’agite d’une vibration totale comme désordonnée, dans une oscillation intérieure disloquée, où la tête manque chaque fois de dévisser. Dans son costume trop large, trop noir, trop informe, elle devient l’incarnation d’une matière électrisée qui se confond avec son espace sonore. Quand les lumières s’y mettent, mouvantes et épaisses, l’expérience est totale : les forces visibles et invisibles fusionnent, les apparitions et les impressions se confondent, notre attention devient sensation. Chose rare chez la chorégraphe, on distingue même par moments l’expression intense du visage que les mouvements ont contaminée.
Réapprendre à accueillir
Si ses spasmes ne débordent pas d’une sphère gestuelle centrifuge, son passage au sol invite à de nouvelles images. Tout aussi condensé, dans une énergie explosive mais totalement contenue, son corps au dos ployé, puis à genoux, semble se décortiquer ; et la lourde peau devient un partenaire qui traîne le corps jusqu’aux limbes de sa propre disparition. La deuxième partie du spectacle est tout aussi sidérante, mais dans un bourdonnement sonore plus relâché qui autorise la danseuse à des suites de petits pas. Quelques montés de genoux, quelques croisements de jambes… soudain des bras en couronne, un léger saut, voire un petit tour. Voici l’esquisse d’une forme de danse qui fait écho à des pratiques comme venues du fond des âges. Orage est un duo d’une puissance incroyable, et aujourd’hui d’utilité publique quand les rapports danse-musique semblent se réduire à une pulsation récréative pour le corps. Dalila Belaza et Serge Teyssot-Gay nous ouvrent d’autres imaginaires, d’autres altérités, d’autres sensations, qu’il faut urgemment réapprendre à accueillir.
Nathalie Yokel
Tél. : 01 41 87 20 84. Spectacle vu à La Briqueterie – CDCN de Vitry-Sur-Seine, dans le cadre de la Biennale de Danse du Val-de-Marne.
Tournée : les 16 et 17 septembre à la Biennale de la Danse de Lyon, les 25 et 26 septembre au Théâtre de la Ville, Paris.
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