La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Œdipe

Œdipe - Critique sortie Théâtre
©François Dauby Œdipe (remarquable Bruno Netter) arrive à Colone pour y mourir.

Publié le 10 février 2009

Avec la compagnie du 3e Oeil et un Bruno Netter impérial, Philippe Adrien livre sa vision d’Œdipe, prisonnier entre vérité et aveuglement. Un jeu théâtral jubilatoire, un fantasme scénique inventif et débridé, souvent drôle, autour d’un drame inconcevable.

Du theatron, lieu du voir, à la psychanalyse, lieu du dire et du non dire qui émergent au grand jour, Œdipe a connu et connaît toujours une exceptionnelle notoriété. Quel mythe en effet, quel drame familial sulfureux et inconcevable résonne avec autant de force ? Œdipe et son fameux “complexe“, lointain et proche, titille toujours notre inconscient… Enigme humaine infinie et paradigmatique, son nom terrifiant est “dans toutes les têtes“ ! Avec son audace, son inventivité et sa liberté de ton habituelles, Philippe Adrien s’empare de la tragédie en jouant sur la dialectique éminemment théâtrale entre lucidité et confusion, vérité et aveuglement, entre fable grecque soumise à la volonté des Dieux et drame humain de la déchéance absolue, entre obscurité et mise en lumière, entre tragédie et pointes comiques aussi. Œdipe, si obstiné dans sa quête de vérité, se trompe totalement sur son identité et la découverte de la vérité le détruit. Accents shakespeariens, jeu spectaculaire voire lyrique, sobriété digne, contrastes fantasmagoriques entre les personnages et humour se côtoient, jusqu’à un épilogue kitch et drolatique. Il est vrai que les errements d’Œdipe sont tellement énormes qu’ils peuvent susciter le rire, d’autant que le public, lui, connaît tout à l’avance, à défaut de connaître son propre destin.

Un récit remarquablement simple et implacable

Le plateau est structuré par un rideau perlé et un œil, symbolisant les frontières entre conscient et inconscient, et participant à l’élaboration de l’interprétation qui invente un rapport et une distance à la fable fantasmés par l’œil du metteur en scène (et celui du spectateur). Au théâtre comme en psychanalyse, la perception fait sens, et ici l’humour et le jeu théâtral participent à la puissance sidérante de l’histoire, parfois la mettent en perspective. Comme élément moteur de la représentation, la langue de Sophocle traduite par Bertrand Chauvet, un récit remarquablement simple et implacable, d’une modernité immédiatement compréhensible. Philippe Adrien retrouve la compagnie du 3e Oeil de Bruno Netter, comédien aveugle, composée pour partie de comédiens handicapés, avec qui il a déjà monté Le Malade imaginaire, Le Procès et Don Quichotte. Adaptées par Philippe Adrien, Vladimir Ant et Bertrand Chauvet, les deux tragédies de Sophocle, Œdipe Roi, exposant l’accomplissement du destin d’Œdipe, avec Bruno Ouzeau en Œdipe roi de Thèbes, homme d’action et de décision, et Œdipe à Colone, rédigée quelque trente ans plus tard, où le vieil aveugle s’achemine vers la mort et la délivrance, avec Bruno Netter, remarquable et digne, sont ici enchâssées. La pièce débute par l’arrivée d’Œdipe à Colone, guidé par sa fille Antigone, une très belle scène inaugurale crépusculaire. Pressé de questions par ses interlocuteurs, il raconte et on bascule alors dans l’histoire de sa vie sur le mode d’un flash-back. Une vie traumatique que le jeu théâtral jubilatoire rend ici palpable et pourtant lointaine, refoulée dans des contrées inconscientes… ou sur une scène de théâtre qui la surexpose. Une belle réussite !

Agnès Santi


Œdipe de Sophocle, traduction Bertrand Chauvet, adaptation Philippe Adrien, Vladimir Ant, Bertrand Chauvet, mise en scène Philippe Adrien, du 13 janvier au 15 février, du mardi au samedi à 20h30 sauf jeudi à 19h30, dimanche à 16h, relâche le 4 février, au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, 75012 Paris. Tél : 01 43 28 36 36.

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