Marc Lesage reprend avec une nouvelle équipe de comédiens le texte de Gilles Tourman, créé il y a trois ans. Un spectacle intelligent en hommage à la pensée impitoyablement exigeante de Nietzsche.
L’art, cette « illusion qui nous a été donnée pour ne pas mourir de la vérité » est le moteur, l’enjeu, voire l’otage du combat entre la lumière et les ténèbres que met en scène Marc Lesage. Lucidité de la pensée aux coups de marteau salvateurs de Frédéric Nietzsche contre obscurité imposée par la folie ; Aurore contre Crépuscule des dieux dans la relation passionnelle entre le philosophe et Wagner ; lumineuse dévotion aux génies amis chez Lou Salomé contre acceptation à servir les ténèbres chez Elisabeth Nietzsche et Leni Riefenstahl : deux espaces scéniques servent de cadres à cette opposition foncière, d’un côté, la chambre du philosophe en proie à ses démons, de l’autre le bureau du serviteur du Diable, le terrifiant Goebbels, avide de récupérer, au prix de la falsification, du contresens et de la trahison, l’œuvre de cet éveilleur trop mal compris et trop superficiellement lu que fut Nietzsche. Comment en effet supporter, remarque Marc Lesage, que celui qui disait « je ne suis pas juif, je suis sur-juif » puisse encore passer pour le penseur officiel de l’antisémitisme le plus nauséeux ?
Montrer la vie pour comprendre l’œuvre
Le texte de Gilles Tourman, remarquablement nourri de cette pensée de l’aphorisme et de l’éclat, offre les conditions d’une vulgarisation très réussie, qui sait éviter les pièges d’un didactisme pesant. Point de leçon de philosophie austère dans cette entreprise, mais un parti pris biographique, par fidélité à la suggestion de Lou Salomé qui affirmait qu’il faut s’intéresser à la vie du philosophe avant de s’intéresser à sa philosophie. On voit donc le pourfendeur des indigestions historiques et du ressentiment moral se tordre de douleur, éructer sa haine du génial Wagner trop admiré, et vilipender son époque avec toute la hargne de celui qui, trop exigeant pour être bien compris, su encore moins se faire aimer. Né de la colère de ses concepteurs contre l’instrumentalisation médiatique contemporaine qui n’hésite pas, à l’instar de Goebbels, à diffuser des sirops lénifiants, puisque « les temps sont durs, les films doivent être légers », ce spectacle a l’immense mérite de rappeler que l’intempestif Nietzsche demeure plus qu’actuel en notre époque à désespérer de l’humain, et en propose une illustration théâtrale aboutie, intelligente et très efficace.
Nietzsche, Wagner et autres cruautés, de Gilles Tourman ; mise en scène de Marc Lesage. Du 2 mai au 22 juin 2008. Du mercredi au samedi à 19h30 ; le dimanche à 15h. Vingtième Théâtre, 7, rue des Plâtrières, 75020 Paris. Réservations au 01 43 66 01 13.