La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Nicolas Struve

Nicolas Struve - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : DR

Publié le 10 mars 2011 - N° 187

La poésie comme expérience

Nicolas Struve confie à Stéphanie Schwartzbrod le soin d’incarner la poésie météorologique de Marina Tsvetaeva dont la complexité musicale affronte le mystère de l’écriture, la fulgurance de l’amour et le chaos de l’existence.

Qui est Marina Tsvetaeva ?
Nicolas Struve : Une immense poétesse, née en 1893 et morte en 1941 ; l’égale de Maïakovski ou de Pasternak ; sans doute un des trois ou quatre grands poètes du XXème siècle. Sa poésie, extrêmement rythmée, sonore, rapide, condensée, est toujours écrite à partir d’événements personnels : son œuvre tient d’un journal lyrique, tempéré néanmoins par le fait que c’est la langue qui l’entraîne. Il n’y a rien de compassé ni de joli chez elle. Sur un mode moins fragile (car elle tient toujours la tête droite), elle rappelle Emily Dickinson par la passion pour le monde et l’ironie, ou des gens comme Bataille. Elle fait partie, avec Pessoa et Ceylan, des poètes les plus lus, sûrement parce que sa poésie anticipe l’autofiction et que c’est une très grande amoureuse. Les sentiments sont exacerbés chez elle, et en même temps trempés d’une sorte de sagesse à la Salomon. Elle adopte un point de vue comme de Sirius sur la condition humaine : sous le regard de l’éternité. Son œuvre est à la fois lyrique et critique. Cette critique est enracinée dans un point de vue distant et ironique sur la condition humaine qui se double, presque de façon contradictoire, d’un immense attachement pour les arbres, les rivières, certains êtres aimés, les fils télégraphiques, les villes… Il y a du fracas et de la vitesse chez elle, quelque chose de l’ordre de la sentence, quelque chose de rude, de moral, mais d’une morale à la Nietzsche, fidèle à son inclination propre, à sa pente.
 
Pourquoi choisir de mettre en scène cette poésie ?
N. S. : Le poème au théâtre, c’est toujours une grande question ! Mais de Racine à Claudel, en passant par Shakespeare et jusqu’à Novarina, le poème a toujours nourri le théâtre. Le seul texte, c’est la musique du texte, dit Dominique Fourcade. En décrivant des situations complexes, celui qui écrit, écrit bien autre chose que ce qu’il écrit. Le reflet de la vie devient recréation d’un monde. Le théâtre a intérêt à tenir ensemble la description du monde et le chant contenu dans les mots. Seul le travail du poète acharné à sa langue peut faire apparaître le monde. Au théâtre, quand on dit un texte, on retrouve le corps, le souffle de celui qui l’a écrit. L’auteur n’est pas un fantôme mais une présence. Il y a un être engagé dans la poésie. Mettre en scène, c’est aimer quelque chose très fort et créer une communauté pour ne pas être seul avec elle. La pensée est entraînée au-delà de nous. Ça n’appartient plus à personne mais à tous. Ce qui me motive vraiment, c’est d’arracher la poésie à une lecture savante et désincarnée. La poésie est un corps à corps avec les mots, un mode d’être, un mode de vie : il n’y a que les poètes qui s’engagent ainsi dans la langue.
 
« Seul le travail du poète acharné à sa langue peut faire apparaître le monde. »
 
Vous reprenez ce spectacle après l’avoir déjà mis en scène. Pourquoi ?
N. S. : J’ai fait ce spectacle vite, avec peu de moyens. Avec le scénographe, nous avions choisi de recouvrir la scène de sable : je voulais que le poème apparaisse dans la distance avec le quotidien. Mais le résultat avait des allures un peu patrimoniales. Dans cette nouvelle version, je remplace le sable par une bâche en plastique qui figure un lieu en travaux. Le thème de la maison est évoqué, renvoyant à la recherche d’un lieu pour vivre à deux mais aussi à d’autres questions : où habiter et dans quelle monde vivre ? Puisque le poème est toujours au présent, il s’agit de le ramener à nous. Il faut que tout le théâtre soit contemporain et intime à celui qui vient le voir. Sinon on est dans la culture : c’est beau, mais on n’est pas concerné. Il y aura toujours de la vidéo, quelques fils de lumière et des maisons que la comédienne retourne pour faire apparaître leur côté coloré, passant ainsi symboliquement du quotidien à sa transposition magique. Même quand une vie est tragique, et celle de Marina Tsvetaeva l’a été, ça n’empêche que ça a été une vie… C’est ça que je voudrais rendre.
 
Propos recueillis par Catherine Robert


De la Montagne et de la fin, de Marina Tsvetaeva (Correspondance avec Constantin Rodzevitch, traduction et adaptation de Nicolas Struve / Poème de la fin, traduction d’Eve Malleret) ; mise en scène de Nicolas Struve. Du 9 mars au 3 avril 2011. Du mercredi au samedi à 20h et le dimanche à 16h. Maison de la Poésie, passage Molière, 157, rue Saint-Martin, 75003 Paris. Réservations au 01 44 54 53 00.

A propos de l'événement


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