La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Mon petit Poucet

Mon petit Poucet - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Danièle Pierre Légende photo : Dieudonné Kabongo en père indigne chez José Pliya.

Publié le 10 mars 2011 - N° 187

José Pliya réécrit l’histoire du petit Poucet et confie à Dieudonné Kabongo et Sophia Leboutte une formidable et terrifiante partition que ces deux comédiens interprètent avec énergie et talent.

Bruits d’enfance ou de cuisine, ustensiles cliquetants qui suggèrent qu’il faut manger ou être mangé : la très efficace création sonore de Brice Cannavo installe d’emblée le spectateur dans une attention craintive. Lorsqu’apparaît Dieudonné Kabongo, qui ressemble au géant aux gros yeux des gravures de Gustave Doré illustrant le conte de Perrault, on hésite à voir en lui le père ou l’ogre. José Pliya avoue que la stature impressionnante du comédien l’a inspiré pour la réécriture de ce conte s’inscrivant dans la tradition ancestrale de la peur de la dévoration qui, de l’antique Kronos à l’élucidation analytique du sadisme oral, fait du père une figure inquiétante avec laquelle l’économie libidinale de l’enfant doit composer pour grandir. La force du texte de Pliya tient au fait qu’il suggère sans l’explicite verbeux qui encombre souvent la relecture des contes : on s’effraie avant que de comprendre, et on se plaît d’autant plus à avoir peur qu’on a saisi la vilaine mauvaise foi du bûcheron Guillaume, qui ouvre son récit avec « Mon fils a disparu ». Par deux fois, il tâche de perdre ses enfants dans les bois, et celui dont il veut d’abord se débarrasser, c’est ce « gamin qui n’est franchement pas beau », ce « sale petit pou » trop faible, qui passe son temps dans les jupes de sa mère, cette inutile bouche à nourrir : encore une fois, il faut manger ou être mangé…
 
Totale harmonie des éléments et des effets théâtraux
 
La scénographie d’Anne Guilleray invente un décor tout en chausse-trappes : une poutre mobile aux déplacements verticaux, symbole de la culpabilité du père, contraint la carcasse de Dieudonné Kabongo, puis libère l’espace féérique de la maison de l’ogre, dans lequel Sophia Leboutte déploie tout son talent et sa force interprétative. La scène est composée d’une haute estrade à caissons, dont les ouvertures permettent l’enchâssement des différentes étapes du récit : la comédienne, reléguée dans ce ventre de bois pendant tout le récit du père, en surgit comme son remords lancinant. Les lumières de Philippe Catalano, soignées et suggestives, et l’univers sonore de Brice Cannavo, interviennent comme des interprètes à part entière de cette histoire. Tous les éléments théâtraux concourent à faire naître l’ambiance d’émerveillement et de terreur, dont José Pliya maîtrise les effets avec un art consommé de l’économie dramatique. Un texte poétique, intelligent et drôle, d’excellents comédiens, le soutien efficace d’une technique inventive : tout, dans ce spectacle, fonctionne, résonne et s’harmonise. Il y a fort à parier que les enfants, qui se plaisent toujours au théâtre quand il n’est pas infantile, y trouveront pitance à leur goût ; il est certain aussi que les adultes apprécieront ce roboratif plat de résistance à la toute puissance paternelle !
 
Catherine Robert


Mon petit Poucet, d’après Charles Perrault ; texte et mise en scène de José Pliya. Le 15 mars 2011 à 14h30 ; le 16 à 15h ; le 17 à 10h et à 14h30. Théâtre de l’Agora, scène nationale d’Evry et de l’Essonne, place de l’Agora, 91000 Evry. Réservations au 01 60 91 65 65. En tournée jusqu’en mai 2011. Spectacle vu au Théâtre Varia de Bruxelles. Durée : 1h05.

A propos de l'événement


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