Belle du Seigneur
Inspirée et enchantée par Belle du Seigneur [...]
Après la verve vindicative des textes de Benedetto, Caubère s’attaque au texte composite d’André Suarès, Marsiho, dont le personnage principal est la ville de Marseille. Un spectacle de facture très classique qui sait échapper aux clichés.
Avignon off au théâtre des Carmes : en chaussures blanches, pantalon blanc, veste, chemise et ceinture blanches, la barbe grisonnante, Philippe Caubère n’a pour faire vivre Marseille sur la scène qu’une chaise, le texte d’André Suarès et son aptitude à le faire briller. Ecrivain méconnu, ce dernier a publié Marsiho l’année même où se créait le Marius de Pagnol. Marsiho est un ouvrage tout entier consacré à la ville de Marseille. Il parcourt ses paysages et son histoire, croque ses personnages pittoresques, loue son âme rebelle et raille ses indéfectibles travers dans une langue très classique, parfois précieuse, qui sait aussi s’aventurer dans des registres grivois. Seul sur scène pendant deux heures, Caubère fait entendre son amour pour cette ville paradoxale et singulière, amour qu’il partage avec l’auteur.
« A deux, trois bâtiments près, tout est hideux »
L’anarchie de Marseille, sa vitalité – « Nul peuple ne croit plus fortement à la vie » -, son curieux urbanisme – « A deux, trois bâtiments près, tout est hideux » -, ou encore sa verve populaire qui lui fait détester les artistes, la pensée, les lettrés de Paris et de Lyon – « rien ne manque plus à Marseille que d’avoir connu la dictature des aristocrates » -, telles sont certaines des caractéristiques contradictoires de la ville que parcourt le spectacle. Côté texte, à un goût certain pour la saillie moraliste, Suarès ajoute un réel talent à rendre les personnages de la rue marseillaise – la tenancière de bar, la prostituée et les ruffians – et les scènes de vie – scènes de marché, de bas-fonds et bien sûr de mistral à Notre-Dame de la Garde – à travers une prose tantôt poétique, tantôt gouailleuse, qui file des métaphores sur les miroitements de la mer et sur la forme féminine de la cité phocéenne, où le Vieux Port s’étend alors comme un sexe. S’aventurant même dans des descriptions apocalyptiques de quartiers lupanars, le réalisme sociologique se métamorphose parfois en visions romanesques et fantasmatiques dignes des meilleures pages de Zola et évite généralement de tomber dans la facilité et le convenu du pittoresque. Côté scène, tantôt les mains dans les poches, tantôt les yeux rivés au paysage qu’il décrit, tantôt le pas glissant, dansant même, Caubère se laisse parfois accompagner d’un piano, contrefait sans s’y attarder l’accent local et les invectives du cru, donne à entendre un texte qu’il habite davantage quand la fin approche, quand vient le temps des adieux à Marsiho.
Eric Demey
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