La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Marjorie Nakache et l’éducation artistique / Ecouter les voix du terrain

Marjorie Nakache et l’éducation artistique  / Ecouter les voix du terrain - Critique sortie Théâtre
PORTRAIT DE MARJORIE NAKACHE - Le 20 mars 2014 - AU Studio Theatre de Stains - Photo : Benoîte FANTON/WIkiSpectacle

Entretien Marjorie Nakache
Débat et réflexions / Education artistique

Publié le 13 juillet 2020 - N° 286

Marjorie Nakache est comédienne et metteuse en scène. Elle a fondé en 1984 le Studio Théâtre de Stains, en Seine-Saint-Denis, réussite exemplaire d’un théâtre de service public à la démarche artistique exigeante et aux actions pédagogiques abouties.

Quel est votre projet au Studio Théâtre de Stains ?

Marjorie Nakache : Notre compagnie existe depuis 1984 et dès le début nous avons eu besoin et envie de travailler sur le terrain avec les élèves et les associations : pour nous, c’était une évidence. Notre pierre angulaire est la création mais nous organisons sans cesse l’aller-retour entre création et créativité. Il ne s’agit pas d’apporter la bonne parole dans un milieu difficile : nous ne travaillons pas pour mais avec les gens. Pendant les années Lang et le leitmotiv du tout pouvoir aux créateurs, nous étions vus comme des socioculturels plutôt que comme des artistes. Après avoir été regardés de haut, notre longévité nous a légitimés, surtout lorsque, constatant que les spectateurs ne sont pas faciles à conquérir, s’est développée la réflexion sur la manière de faire venir de nouveaux publics dans les salles. Nous sommes même devenus des modèles lorsqu’il était de bon ton d’affirmer être capable de faire du théâtre avec les « sauvageons », comme on disait alors. Le problème, pour tous ceux qui nous jugent, c’est que notre motivation est demeurée inchangée : le théâtre est un moyen de parler du monde avec les spectateurs dans leur diversité. Nous sommes très fiers d’avoir des publics mélangés. Pour notre théâtre, cette motivation est une évidence et, personnellement, cela nourrit mon travail de metteur en scène. Je n’ai pas envie de me couper du monde.

Quelles sont les particularités de votre territoire ?

M.N. : Il est difficile mais enrichissant. Gardons-nous de l’angélisme : il y a ici le pire et le meilleur. Le discours des politiques qui exalte l’aspect missionnaire de notre engagement a quelque chose de très méprisant. Nous sommes sur un territoire où il y a des cultures différentes et très riches. Ceux d’ici, adultes et enfants, m’ont souvent apporté des tas de choses, et je suis fatiguée d’entendre dire que le lieu où l’on vit détermine le talent. L’artiste de banlieue, comme le flic de banlieue ou le prof de banlieue en a ras-le-bol que l’on parle de lui en ces termes… Et il en a aussi ras-le-bol de n’exister que dans le discours des autres qui parlent à sa place. C’est l’action qui fait l’individu, plus que la place où il se trouve. C’est pour cela que c’est insupportable que les options théâtre n’existent que dans les lycées généraux pendant que les lycéens professionnels, au prétexte qu’ils sont à cette place-là, n’y ont pas droit, alors qu’ils adorent ça quand on leur propose !

« C’est l’action qui fait l’individu, plus que la place où il se trouve. »

Comment vous y prenez-vous et qu’est-ce qui vous manque ?

M.N. : Le premier impératif est de créer une relation de confiance inscrite dans la durée. Cela suppose de refuser de relever de dispositifs d’exception en leur préférant toujours ceux du droit commun, qui légitiment les équipes en place. La réussite passe aussi par de vrais relais : les profs qui sont là depuis longtemps et qui restent, les jeunes profs qui arrivent, les responsables de centres sociaux et le public qui considère qu’il a des choses à proposer au théâtre. Le problème, c’est que nous sommes victimes des politiques de saupoudrage, des missions ponctuelles, et des projets en forme d’épiphénomènes éphémères. Les politiques éducatives manquent de prospection et de réflexion à long terme. Or, l’art demande du temps. Il faut laisser le temps d’essayer, de se tromper et d’essayer encore ! Et nous sommes évidemment aussi victimes du manque de moyens. Pour l’option théâtre, nous recevons 1500 euros par an de la Drac et 1500 du Rectorat. Soit cinquante heures d’interventions pour l’année, et ça ne concerne que les terminales. Nous avons fait le choix depuis toujours de demander à un artiste de travailler avec les secondes et les premières. Au vu du nombre de plus en plus grand de participants, nous avons maintenant une trentaine d’élèves en terminale, deux ateliers de première de vingt-cinq élèves chacun et, en seconde, un groupe d’une quinzaine d’élèves. Tout ça avec ces fameux 3000 euros qui n’ont pas été augmentés depuis plus de douze ans ! Nous pourrions élargir cet enseignement en payant plusieurs artistes, en variant la palette des apprentissages avec un technicien ou un scénographe… Si on me donne plus d’argent, je fais travailler plus de gens ! Mais non, rien ne vient ! Pour les classes à PAC avec les primaires, nous recevons 1000 euros de l’Education nationale mais il y a plus de demandes que de projets retenus et les écoles font parfois des ventes de gâteaux pour nous aider et participer…

Important, l’accès à la culture ?

M.N. : C’est essentiel ! L’accès à la culture est un droit fondamental, à Stains comme ailleurs. Et l’éducation artistique est aussi nécessaire qu’apprendre à lire et à compter. L’éducation artistique apprend le sens critique, le travail d’équipe. Elle apprend le commun, à vivre ensemble et à trouver sa place, à écouter les autres en s’affirmant en tant que soi. Gérer les disputes, les heurts, les amours, affronter le point d’orgue de la représentation, goûter la valorisation qu’on en retire, être attentif dans l’écoute : tout ça, c’est un apprentissage de la vie. Tout ça, ce sont des valeurs de citoyen. La sensibilisation artistique ne consiste pas à enfermer les élèves dans une bulle. Les arts plastiques, la musique, le théâtre offrent de mieux se connaître pour mieux connaître le monde et les autres. Ils développent les outils de l’émancipation. Cela paraît des grands mots, évidemment, mais je l’ai vu, je le sais, nous le savons tous ici et le fait que 100 % des élèves de l’option théâtre de ce territoire si compliqué obtiennent le bac suffit à en prouver les bienfaits scolaires. L’éducation artistique devrait être obligatoire ! Il serait heureux que les hommes politiques ne paraissent pas redécouvrir les vertus de la pratique artistique comme s’ils étaient les seuls à en avoir eu l’idée. Nous savons faire et nous faisons : écoutez-nous !

Propos recueillis par Catherine Robert

Entretien réalisé dans le cadre de la publication du Carnet n°8 de L’Anthropologie pour tous, intitulé Pour une école des arts et de la culture. A paraître en septembre 2020. oLo Collection Site : www.anthropologiepourtous.com

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