La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2011 - Entretien Frédéric Fisbach

Mademoiselle Julie ou la difficulté d’aimer

<i>Mademoiselle Julie </i>ou la difficulté d’aimer - Critique sortie Avignon / 2011

Publié le 10 juillet 2011

Après avoir monté Mademoiselle Julie de Strindberg à Tokyo en japonais avec des acteurs japonais, Frédéric Fisbach poursuit l’aventure théâtrale avec Juliette Binoche dans le rôle-titre, Nicolas Bouchaud dans celui de Jean, et Bénédicte Cerutti dans celui de Christine. Une pièce majeure sur le désir.

En quoi Mademoiselle Julie est-elle une pièce sur le désir ?
Frédéric Fisbach : C’est une réflexion brute sur le postulat du désir et sur son prolongement que peut être l’amour. L’amour est une sorte de révolution, qui est capable de permettre aux êtres de s’inventer un destin, de sortir des déterminismes et d’arriver à écrire et à signer une vie. L’idée de l’amour comparable à une révolution, telle que l’entend Alain Badiou dans L’Éloge de l’amour,joue pleinement dans cette pièce. L’œuvre est tragique parce que l’idée n’aboutit pas ; elle aboutit à la mort de Julie, ce qui ne correspond pas à un écroulement mais à un parcours avec en son extrémité, une forme de sortie. Julie choisit la manière dont elle s’en va, l’enjeu essentiel de la pièce. Les personnages répondent intimement à un appel vers l’extérieur et s’accrochent l’un à l’autre pour s’accompagner dans un désir mutuel de libération, dans une même tension d’émancipation. Ils tentent de construire quelque chose en commun qui part d’un désir initial, l’attraction extrêmement forte et non calculée de l’un pour l’autre.
 
« L’incroyable difficulté à construire une relation d’amour qui soit vraie et ne s’appuie pas sur les besoins névrotiques de l’un et de l’autre.  »
 
Que provoque la rencontre entre Julie la fille du comte et Jean le domestique ?
F. F. : Jean s’appuie sur ce désir-là pour « arriver ». Il sort de son milieu pour devenir quelqu’un socialement et culturellement, un possédant, un propriétaire, un entrepreneur. C’est un homme d’action. Il préfigure la fin du XIXe siècle, l’époque où le capitalisme prend son plein essor, et Jean est en cela pleinement contemporain. Pour Julie, la démarche est plus complexe et consiste à sortir d’un carcan familial aux histoires figées dont certains aspects lui ont été cachés. Elle souffre d’avoir été mal-aimée et d’avoir été l’enjeu d’une dispute idéologique entre ses parents. Nulle émotion qui ne vienne de sa mère, nulle pensée qui ne vienne de son père, et jusqu’à l’idée que les hommes naissent égaux qui ne vienne de son ex-fiancé. Elle se sent dépossédée. Elle commence sa quête en se donnant corporellement à Jean, pour «  se récupérer ». Mais les personnages sont plus nuancés qu’ils ne paraissent, même s’ils sont incapables de dépasser les obstacles ensemble. Jean « aide » Julie ; il l’accompagne, selon sa volonté, pour aller jusqu’au bout de son acte, le suicide. C’est faire preuve de courage et d’amour. L’histoire est en réalité un fait divers : deux personnes se rencontrent dans une fête, passent la nuit ensemble, l’une se suicide et l’autre devient fou. C’est une émergence du monstrueux dans le quotidien.
 
Quel cadre donnez-vous à cette tragédie ?
F. F. : Aux trois acteurs principaux, j’ajoute une quinzaine de personnages. Je mets en scène la fête et j’étends le huis clos, non plus à la cuisine, mais à une partie de la maison et à une partie du jardin. Les personnages sont « pris » dans une boîte fermée, propre aux installations plastiques et scénographiques contemporaines, qui contient une partie de la fête. Les protagonistes repartent danser, et le public peut suivre l’histoire d’autres couples pour lesquels ça se passe mieux.
 
À la fin du XIXe siècle, la condamnation de cette relation de maître à valet avait valeur d’exemple. Que signifie l’histoire de Julie et Jean aujourd’hui ?
F. F. : Ce que ce fait divers met en lumière, c’est le symptôme d’un mal-être, l’incroyable difficulté à construire une relation d’amour qui soit vraie et ne s’appuie pas sur les besoins névrotiques de l’un et de l’autre. Il s’agit de partager en commun. L’amour est une expérience à partir de laquelle penser l’autre et s’ouvrir devient possible : on entre en dialogue avec des histoires qui ne sont pas les nôtres. Juliette Binoche recèle toute la finesse d’appréhension du rôle mythique de Julie. Mademoiselle Julie est symptomatique d’un espoir inouï et d’une difficulté à s’ouvrir à l’étranger. 
 
Propos recueillis par Véronique Hotte


Festival d’Avignon. Mademoiselle Julie, de Strindberg ; mise en scène de Frédéric Fisbach. Du 8 au 26 juillet 2011 à 18H sauf les 18 et 1ç à 22H, relâche le dimanche au Gymnase Aubanel. Tél : 04 90 14 14.

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