Lorenzaccio
Théâtre de l’Aquarium / d’Alfred de Musset / mes Catherine Marnas
Publié le 28 septembre 2017 - N° 258
Catherine Marnas monte ce fleuron du drame romantique dans une mise en scène qu’elle installe dans notre époque contemporaine. Un univers rock et imposant.
Réputé injouable en raison de ses 5 actes, trentaine de décors et 80 personnages, Lorenzaccio est pourtant ce chef-d’œuvre de Musset qui dénonce la médiocrité de la monarchie de Louis-Philippe à travers la Florence du XVIe siècle. Grande épopée, cousine française des drames de Shakespeare, sa postérité tient notamment à la complexité de Lorenzaccio, personnage romantique par excellence, un jeune homme pur indigné par la corruption de sa ville, qui décide d’assassiner le tyran Alexandre de Médicis pour rétablir la République. A cette fin, il joue un double jeu, empruntant le masque de l’ami, tombant toujours plus bas dans la débauche, perdant au passage ses illusions sur la nature humaine. Parmi la multitude de thèmes explorés par Musset, la corruption des élites, la nécessité de l’engagement et la fragilité des idéaux trouvent particulièrement écho dans notre société désenchantée où, au nom du pragmatisme, les utopies ont déserté le terrain. On ne s’étonne pas alors que la metteuse en scène Catherine Marnas ait transposé la pièce de Musset à l’époque contemporaine. La première scène s’ouvre sur un décor rouge et noir imposant au son d’une musique électro tandis que Lorenzaccio, perruque blonde et pantalon moulant, joue du air guitar sous une pluie de confetti rouges. Pourquoi pas, même si la langue de Musset détonne parfois dans cet univers rock, tout comme la présence d’épées, vestige anachronique de la Renaissance.
Intelligence du texte
Là où le bât blesse vraiment, c’est qu’on peine à comprendre la véritable utilité dramaturgique de cet habillage qui finit par faire toc : musique de Daft Punk à plein volume ou débauche de confetti pour illustrer la débauche des corps – montrée d’ailleurs de façon assez caricaturale et vulgaire – ne suffisent pas à actualiser le brûlot politique. Si le texte parvient à résonner malgré tout, c’est davantage grâce à ses qualités intrinsèques et à l’intelligence du texte de Catherine Marnas qui a su rendre lisibles les lignes de crête de cette pièce fleuve en resserrant sa durée, le nombre de personnages, et en mettant au centre la relation entre Lorenzaccio et Philippe Strozzi. Incarné de façon émouvante par Franck Manzoni, ce double de Lorenzo est un humaniste pétri d’idéaux mais incapable de passer à l’action. « Qu’importe que la conscience soit vivante si le bras est mort ? », lui demande Lorenzaccio, et Strozzi devient alors l’image de l’intellectuel voué à l’immobilité. En contrepoint, c’est une jolie idée de Catherine Marnas de faire de Lorenzaccio « un impatient plutôt qu’un nihiliste complet », dont le geste est « une manière d’accélérer le processus ». Le jeu plastique de Jules Sagot (un peu vert mais prometteur) s’y prête bien : il lui permet de passer en quelques secondes de son rôle de pourvoyeur du vice à celui du jeune idéaliste qui tente de croire que les Républicains parachèveront son entreprise. Dès le début, on sait qu’elle est vouée à l’échec, mais on espère encore.
Isabelle Stibbe
A propos de l'événement
Lorenzacciodu mardi 26 septembre 2017 au dimanche 15 octobre 2017
Théâtre de l’Aquarium
Route du Champ de Manoeuvre, 75012 Paris, France
Tél. : 01 43 74 99 61. Durée : 2h sans entracte.