Y a-t-il une crise du théâtre ?
Christian Schiaretti, Olivier Py et Emmanuel [...]
Nicolas Liautard, Directeur de La Nouvelle Compagnie, met en scène une fascinante et poignante Petite marchande d’allumettes.
« La petite marchande d’allumettes est pour moi l’une des œuvres populaires les plus dérangeantes du dix-neuvième siècle. Elle dérange tout autant au vingt et unième. La simplicité de sa forme et de sa brièveté me fascine, sa noirceur me sidère ». Claire sur le papier, l’intention de Nicolas Liautard, devenu en 2010 le directeur artistique de la Scène conventionnée de Nogent-sur-Marne, est magnifiée sur le plateau. Cette Petite marchande d’allumettes, librement inspirée du conte d’Andersen, arrimée sur le plan dramaturgique au film de James Williamson, rend absolument manifeste la maîtrise de ce genre dramatique, celui du théâtre muet, exploré par la Nouvelle Compagnie depuis Le Nez d’après Gogol et Blanche Neige (pièce nominée aux Molières 2010 jeune public). L’argument de cette fable sociale, évocation de la misère enfantine portée à son comble par le portrait de cette petite fille exhalant son dernier souffle dans l’indifférence générale, se prête sans doute mieux qu’aucun autre à ce qui anime en profondeur la démarche du metteur en scène : la représentation de « ce monde où la langue a disparu, de cette catastrophe ultime, celle de la disparition du logos, assurant le partage de l’expérience ».
Une émotion vive
Sans parole – ou presque – mais visuel et sonore, son mode de théâtralisation plastique ouvre un nouvel espace d’expérience conçu pour libérer les puissances de l’imagination. Les devants du plateau resserrés en forme de couloir, figurent avec un réalisme poétique l’endroit où l’héroïne de cette tragédie atemporelle installe à la sauvette son étal. Saisissant, le premier mouvement fait défiler devant elle, sous ses yeux baissés, une foule d’anonymes pressés, silhouettes en forme d’ombres portées, égocentrées et empoignées par Wagner. Du romantisme allemand à la musique contemporaine, en cinq tableaux, le spectacle, donne aussi à entendre et à voir les visions hallucinées de l’enfant à l’existence déniée et livrée à elle-même. Quand la bâche noire qui ferme l’arrière plan se lève comme un second rideau, fenêtre ouverte sur l’intériorité même de cette Littlemachtseller, la fertilité inventive du metteur en scène prend par surprise. Le souffle esthétique épouse un pathétique qui, savamment, tient le drame très éloigné de la facilité mélodramatique pour émouvoir vivement.
Marie-Emmanuelle Galfré
Christian Schiaretti, Olivier Py et Emmanuel [...]