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Jazz / Musiques - Entretien

L’improvisation, une cérémonie à la vie selon Joëlle Léandre

L’improvisation, une cérémonie à la vie selon Joëlle Léandre - Critique sortie Jazz / Musiques Ivry-sur-Seine CREDAC - Centre d'Art Contemporain d'Ivry
La contrebassiste Joëlle Léandre a dédié sa vie au moment de vérité qu’est l’improvisation © Guillaume Chauvin

Sons d’hiver / CREDAC et Théâtre Antoine Vitez à Ivry / Festival

Publié le 27 janvier 2022 - N° 296

Doublement à l’affiche d’un festival qui lui est fidèle, la contrebassiste revient sur son rapport à l’improvisation, son terrain de jeu par excellence.

En 2021, vous avez participé à Sons d’hiver, notamment pour une masterclass filmée.  « L’improvisation, ce n’est pas une œuvre », disiez-vous alors. Qu’est-ce alors, un instant de vérité fugace ? 

Joëlle Léandre : C’est exact, l’œuvre est faite pour être rejouée. Les maisons d’édition en sont pleines, écrites au fil des siècles. Un seul individu décide tout, écrit tout, pense tout, alors que l’improvisation, une musique avant tout instrumentale, se joue collectif. Il n’y a ni chef ni hiérarchie, pas d’hommes ou de femmes. C’est l’aventure, le risque et même le ratage qui font partie de ces instants de vie fugaces, uniques et jubilatoires. C’est cela l’improvisation : une « cérémonie à la vie ».

La scène, cet espace qui a été confiné depuis bientôt deux ans, est-elle le théâtre idéal pour l’expression improvisée ?

J.L. : Deux ans horribles, l’interdiction même de s’exprimer – à moins de jouer pour son chat à la maison – dans tout lieu d’arts vivants ! Il n’y a pas de lieu idéal pour l’improvisation, ce lieu est dans nos gestes, nos décisions, sans arrêt, continuellement. Les gens qui savent tout m’inquiètent immensément. Au fond c’est savoir ne pas savoir qui m’interpelle.

« Les ingrédients sont l’écoute, la confiance, l’aventure, et tant pis si le mi bémol est trop bas. »

Pour Sons d’hiver, vous serez associée à Craig Taborn et Mat Maneri, deux cadets connus eux aussi pour jouer le jeu de l’improvisation et pour se situer aux bordures de la musique dite contemporaine. Quel sera votre terrain d’entente pour cette formule inédite ? 

J.L. : Deux cadets, certes, mais deux immenses musiciens. Les ingrédients sont l’écoute, la confiance, l’aventure, et tant pis si le mi bémol est trop bas ou le sol dièse est un sol bécarre. Le terrain d’entente devrait être l’approche contemporaine, au sens où tout se construit, se répète, se mémorise dans le temps présent et pas différé, ce qui implique une vivacité sur la mise en forme, les structures, la prise de responsabilité. L’improvisation est une musique urgente, et c’est là que se situe la différence avec la composition : le temps qui s’écoule. On ne peut revenir sur une improvisation. Il s’agit d’une musique chambriste – duo, trio, quartet – car il me semble impossible d’improviser en orchestre. Trop de monde, trop d’ego, trop de masse sonore !

Free jazz, musique contemporaine, musique improvisée, ces appellations n’ont-elles pas été un frein à la compréhension de votre musique, dont l’une des qualités est d’être justement incernable ?

J.L. : Ce que vous soulignez je le prends comme un compliment, dans un pays à tiroirs. Sans doute suis-je incernable mais on ne me reprochera pas d’avoir toujours été dans mon siècle, dans cette contemporanéité, que ce soit le monde sonore, la danse, le théâtre ou la poésie… J’ai adhéré à cette aventure depuis bientôt cinquante ans, et c’est ainsi que j’ai beaucoup appris des autres. Vivre, c’est l’autre. J’improvise certes, mais je compose aussi. Simplement, j’ai très jeune été fatiguée de ces hiérarchies entre le composé et l’improvisé. Il y a toujours eu du savant dans du populaire et vice-versa. Va savoir si un air de La Tosca n’a pas été sifflé par un peintre en bâtiment quand Puccini circulait en bicyclette dans les rues de Milan !

Propos recueillis par Jacques Denis

A propos de l'événement

L’improvisation, une cérémonie à la vie
du samedi 12 février 2022 au samedi 12 février 2022
CREDAC - Centre d'Art Contemporain d'Ivry
La Manufacture des Œillets, 1 place Pierre Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine

Performance avec Luke Stewart et Keir Neuringer à 15h30.

héâtre Antoine Vitez, scène d’Ivry, 1 rue Simon Dereure, 94200 Ivry-sur-Seine. Concert avec Craig Taborn et Mat Maneri à 19h.

Tél. : 01 46 87 31 31. www.sonsdhiver.org

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