Les Revenants
Arnaud Denis et Les Compagnons de la Chimère proposent un traitement réaliste
assez efficace des affres des secrets de famille auscultés par l’incisif Ibsen.
Entre l’hérédité et l’héritage, se tient la possibilité du refus, et si les
testaments se déchirent, le sang ne se peut modifier. Tel est le drame d’Oswald,
fils à tout jamais marqué par le vice de son père et dont le cerveau
syphilitique paie par ses errements les errances dépravées de son géniteur.
Rentré de Paris, Oswald retrouve la maison familiale isolée dans la brume
septentrionale. Le soleil qu’il peignait en France lui manque autant que la
lumière sur les mensonges d’une parentèle dont tous les membres souffrent en
silence. Chacun doit affronter ses propres fantômes et composer avec la
duplicité, la trahison, l’incertitude anxiogène et les tromperies qui
bouillonnent derrière la façade compassée de la vie bourgeoise. Le drame tourne
à la tragédie quand la vérité se révèle aussi cruelle que la dissimulation : les
amours d’Oswald et de Régine, la jeune gouvernante, sont impossibles puisque le
même sang coule dans leurs veines et que la bâtarde ne peut pas épouser son
frère?
L’horreur sublime surgie au c’ur du vérisme
Désireux de « restituer à ce chef-d’?uvre trop souvent négligé en France
ses lettres de noblesse », Arnaud Denis a choisi de débarrasser la pièce des
scories scénographiques habituelles qui encombrent selon lui le théâtre du grand
Norvégien : « pesanteur, lenteur volontaire et souvent inutile, émotion
forcée ou factice, trouvailles cérébrales qui remettent en question la force de
l’auteur ». Pariant sur l’intemporalité d’un drame dont l’insolence est
utile à notre époque, la mise en scène tâche de ménager la curiosité et le
suspense de ce « thriller psychologique » troublant et effrayant,
installant l’intrigue dans une ambiance réaliste où apparaissent en
transparences fantastiques très adroites les fantômes épouvantables des drames
passés et des ressemblances mortifères. Arnaud Denis, qui prête une belle
authenticité émaciée à Oswald, a choisi des comédiens à la force tranquille pour
incarner les personnages de ce cauchemar cru et brutal où les c’urs purs sont
brisés sous le joug implacable d’une nécessité impitoyable. Michèle André
(Madame Alving), Jean-Pierre Leroux (le Pasteur Manders), Bernard Métraux
(Engstrand) et la vibrante Elisabeth Ventura (Régine) forment une distribution
harmonieuse dont le jeu juste et équilibré offre au drame les conditions
psychologiques d’une véracité palpitante.
Catherine Robert
Les Revenants, d’Henrik Ibsen ; mise en scène d’Arnaud Denis. Du 6 mars
au 16 avril 2007. Mardi, mercredi, vendredi à 20h30 ; jeudi et samedi à 19h30 ;
dimanche à 15h30. Théâtre 13, 103A, boulevard Auguste-Blanqui, 75013 Paris.
Réservations au 01 45 88 62 22.