La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Les nerfs plus que l’intellect

Les nerfs plus que l’intellect - Critique sortie Théâtre Paris Athénée Théâtre Louis-Jouvet
Not I par Lisa Dwan. Etonnant monologue où seule est visible une bouche qui parle à la vitesse de la pensée !

Théâtre de l’Athénée / De Samuel Beckett / mes Walter Asmus

Publié le 9 mars 2015 - N° 230

Evénément ! Etape parisienne dans une longue tournée internationale. L’actrice irlandaise Lisa Dwan interprète trois œuvres tardives de Samuel Beckett, Not I, Footfalls et Rockaby : une expérience intense pour l’actrice et pour les spectateurs. 

Comment caractérisez-vous la langue de Beckett dans ces trois œuvres ?

Lisa Dwan : La langue de Beckett est une musique et un paysage immense. Appréhender l’œuvre de Beckett est une expérience viscérale, immédiate, et organique. Beckett avait d’ailleurs l’habitude de parodier les gens qui intellectualisaient trop son œuvre. Il écrivait pour le commun des mortels, sans aucun surplomb, sans aucune volonté de prêche. Il a dû se débarrasser de Joyce, qui était un auteur difficile, intellectuel, et éliminait dans son écriture tout ce qui n’était pas nécessaire. Dans les œuvres tardives, il distille une essence puissante, bien au-delà du langage, et ma préférence va vers ces textes. Un acteur ne peut pas manquer de sincérité avec une telle œuvre, qui nous fait en quelque sorte creuser vers la vérité. Il ne s’agit pas d’être techniquement brillant. D’une certaine manière, j’aborde cette langue comme si j’étais danseuse, avec comme point de départ quelque chose de profondément personnel. Les mots agissent sur moi, et c’est la condition pour que je sois vraie. Ce qui est en jeu n’est pas la connexion du public aux mots, mais celle de l’acteur aux mots, avec toute l’honnêteté et l’engagement possibles, avec tout ce que nous sommes et tout ce que nous pourrions être. C’est au-delà de nos petites réalités acceptables, de nos clichés, c’est très vaste, et non pas fragmentaire. Et dans ces trois œuvres, la langue ne s’adresse pas à l’intellect, mais aux tripes, au cœur, aux nerfs !

« Appréhender l’œuvre de Beckett est une expérience viscérale, immédiate, et organique. »

Quelles sont ces œuvres ?

L. D. : Not I  a lieu dans le noir, seul un rayon de lumière éclaire une bouche de femme qui parle, suspendue au-dessus du plateau. C’est une expérience sensorielle, comme une sorte de naissance de la conscience, un monologue éprouvant et intense, très difficile à apprendre, et donc peu joué.  Billie Whitelaw, que j’ai rencontrée, l’a joué pour la première fois en 1973, dirigée par Beckett. Il lui demandait de parler à la vitesse de la pensée, pour que les mots jouent sur les nerfs des spectateurs, au-delà de la compréhension. Dans Footfalls, une femme sans âge fantomatique fait les cent pas devant la chambre de sa mère mourante. Elle essaie de voir clair et de définir son identité, face à sa mère qui met la pression. Les relations familiales sont nos premières et nos dernières relations. Samuel Beckett avait lui-même une relation à sa mère vraiment difficile. Footfalls est une méditation sur le traumatisme et le conflit, dont j’interprète les deux rôles, l’oppresseur et l’opprimé. Je ne joue pas de personnages, car les personnages sont ici des tranches de vie, des paysages de la pensée et de l’émotion, et je joue le résidu de ce traumatisme qu’il porte. Beckett écrit sa vérité personnelle pour parler de vérité universelle. Il a écrit cette pièce comme une partition de musique, avec son rythme et ses tonalités, c’est fascinant. Rockaby met en scène une femme assise dans un rocking chair, alors que la mort approche. Les trois pièces incarnent la défiance et sont un paysage de la conscience. Ces femmes défient l’inconnu, essaient de s’approcher de l’identité profonde, se confrontent à la fin. Beckett a écrit sa vérité et ses histoires les plus personnelles dans ses monologues féminins. C’est lui qui est dans ces mots et c’est vraiment extraordinaire, imposant et étonnant de jouer cette langue musicale, qui surpasse tous les cadres.

Propos recueillis et traduits par Agnès Santi

A propos de l'événement

Not I, Footfalls et Rockaby
du mercredi 11 mars 2015 au dimanche 15 mars 2015
Athénée Théâtre Louis-Jouvet
Square de l'Opéra-Louis Jouvet, 75009 Paris, France

Du 11 au 14 mars à 20h, le 15 à 16h. Durée : 1h. En anglais sans surtitrage, texte français disponible au théâtre.

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