La Terrasse

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Théâtre - Critique

Les Naufragés du Fol Espoir

Les Naufragés du Fol Espoir - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 septembre 2010

Àvec Les Naufragés du Fol Espoir, le Soleil de Mnouchkine assoit en majesté sa renommée d’un théâtre de troupe dédié au public sous le prisme de l’invention moderne du cinématographe et d’un siècle d’utopies mises à mal.

Les Naufragés du Fol Espoir, création artistique du Théâtre du Soleil, relève d’une vertigineuse composition en abyme. Sur la scène, le procédé subtil insère un élément qui la reflète, le cinéma à l’orée de sa création. Ce motif partiel est le miroir poétique, politique et artistique de la représentation d’ensemble, l’emblème de la légitimité du Soleil dans sa revendication d’un art populaire exemplaire. Une troupe improvisée de comédiens, les serveurs d’une guinguette 1900 de bord de Marne, se prête au jeu du film muet qui exige du réalisateur un choix de rôles éloquents, la construction de décors, l’installation d’une scénographie ingénieuse faite de poulies et de cordes, l’accompagnement de musiques inspiratrices du mélo – Grieg, Dvorak, Carl Off, Wagner, Verdi, Rachmaninov et l’Internationale. Sous la vigilance d’une caméra actionnée par la manivelle d’une opératrice, le public assiste à un spectacle à double entrée : la naissance d’un genre fabriqué sous le regard subjugué d’une troupe d’acteurs, que regarde encore le public de la salle. Le premier cercle de spectateurs est composé du petit peuple, machiniste, éclairagiste, accessoiriste, comédien…
 
Un univers enjoué et désuet
 
Le cinéma garde ce public immédiat sur le plateau – parquet de guinguette ou pont de paquebot. Les figurants s’inclinent brusquement pour échapper au cadrage inopiné de la caméra, font tomber la neige, manipulent balustrades et ventilateurs, agitent les jupes des femmes sous l’effet simulé d’un vent marin. Cette microsociété témoigne d’une industrieuse habileté, un univers enjoué et désuet à la Douanier Rousseau qui s’anime et prend vie, en épousant les aspirations sociopolitiques de l’époque. Des mimiques grotesques, une gestuelle fantaisiste de pantin expressionniste, le cinéma muet est non seulement la fabrique de scènes burlesques, mais fait encore le compte-rendu de la Grande Histoire. C’est le temps des vraies inventions, socialisme, pacifisme, décolonisation et humanité sous la griffe de Hugo ou de Jaurès, tandis que grondent les canons des guerres nationalistes. Le bateau des migrants part de Cardiff en 1895 pour l’Australie ; il s’échoue sur le désert glacé de l’extrême sud du Chili. Or, il fallait construire la maquette d’un avenir commun, au-delà de l’appât de l’or ou des manquements moraux. La métaphore que file Ariane Mnouchkine évoque le travail artistique et choral d’une troupe de théâtre inspirée par le concept philosophique de démocratie. Dans notre communauté provisoire plus ou moins plongée dans l’obscurité, une telle vision élève l’âme.
 
Véronique Hotte


Les Naufragés du Fol Espoir, création collective du Théâtre du Soleil. Le mercredi, jeudi et vendredi à 19h30, le samedi à 14h30 et 20h, le dimanche à 13h.Théâtre du Soleil à La Cartoucherie 75012 Paris. Réservations : 01 43 74 24 08/01 43 74 88 50. Durée : 4h.

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