Les Larmes amères de Petra von Kant
Théâtre de l’Œuvre / de Rainer Werner Fassbinder / mes Thierry de Peretti
Publié le 24 février 2015 - N° 230Au Théâtre de l’Œuvre, dans une mise en scène de Thierry de Peretti, Valeria Bruni Tedeschi incarne le rôle-titre des Larmes amères de Petra von Kant, de Rainer Werner Fassbinder. Un spectacle charnel, sanguin, qui manque de perspectives souterraines.
Des tas de choses se déroulent, se chevauchent et se bousculent sur la scène (surchargée) du Théâtre de l’Œuvre. On boit, on fume, on crie, on téléphone, on se dit qu’on s’aime, on mange des spaghettis, on s’enlace, on s’embrasse sur la bouche, on fulmine, on pleurniche, on trinque, on se pelote sur un canapé, on se traite de salope, de conasse, de fouille-merde, on baisse pantalon et culotte pour uriner, face public, en fond de scène, rouleau de papier toilette à la main… De toute évidence, Thierry de Peretti a cherché, dans cette version très organique des Larmes amères de Petra von Kant, à déborder le théâtre par le théâtre, à créer une façon d’hyper-présent théâtral capable d’engendrer vérités et évidences cinématographiques. De ce point de vue, la représentation qu’il élabore autour de Valeria Bruni Tedeschi (la comédienne, d’un investissement de chaque instant, interprète le rôle-titre aux côtés de Sigrid Bouaziz, Nadine Darmon – en alternance avec Marisa Borini – Lolita Chammah, Kate Moran et Zoé Schellenberg, désarçonnante de naturel dans le rôle de Karine) est une réussite.
La vérité d’un hyper-présent théâtral
On pourrait même dire que cette représentation vaut pour elle-même, au-delà de considérations sur le texte de Fassbinder : pour l’énergie toute en vitalité et expressivité qui la traverse de bout en bout, et donne corps à des moments de jeu d’une liberté étonnante. Cependant, s’il l’on se tourne du côté de la pièce, le constat est différent. La direction d’acteur du metteur en scène crée certes de la vie, et une forme de consistance habilement déstructurée, mais elle ne parvient pas à rendre compte des jeux complexes de pouvoir, de séduction, de manipulation que sous-tendent les relations unissant Petra von Kant et les femmes qui l’entourent (une jeune fille dont elle est tombée amoureuse, son assistante, sa mère, sa fille, une de ses amies). Peu d’ambiguïté et de mystère percent ainsi de la performance de Valeria Bruni Tedeschi. Bien que remarquable dans sa partition de bourgeoise hystérique, la comédienne reste en dehors des dimensions souterraines de son rôle. Mais autre chose surgit de ces Larmes amères… Même sans le trouble du théâtre de Fassbinder, le sextuor féminin orchestré par Thierry de Peretti nous charme, nous intrigue. Il nous gagne à la cause des tensions d’amour et de vie qui se jouent sous nos yeux. Des tensions charnelles, sanguines, qui cherchent et trouvent du côté du réel.
Manuel Piolat Soleymat
* Texte publié chez L’Arche Editeur dans une traduction de Sylvie Muller. Pour ce spectacle, Thierry de Peretti a choisi une traduction de Mathieu Bertholet.
A propos de l'événement
Les Larmes amères de Petra von Kantdu jeudi 12 février 2015 au jeudi 12 mars 2015
Théâtre de l’Oeuvre
55 Rue de Clichy, 75009 Paris, France
Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 16h. Durée de la représentation : 1h40. Tél. : 01 44 53 88 88. www.theatredeloeuvre.fr