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Théâtre - Critique

Les Fourberies de Scapin de Molière, mise en scène de Denis Podalydès

Les Fourberies de Scapin de Molière, mise en scène de Denis Podalydès - Critique sortie Théâtre Suresnes Théâtre de Suresnes Jean Vilar
© Christophe Raynaud de Lage Les Fourberies de Scapin

de Molière / mes Denis Podalydès

Publié le 21 février 2020 - N° 285

Dans la maison de Molière, Denis Podalydès et la troupe de la Comédie-Française livrent une excellente version des Fourberies de Scapin, drôle, dense, surprenante… mémorable.

A ceux qui se souviendraient des Fourberies de Scapin comme d’une farce sans conséquence, on conseillera vivement d’aller voir la mise en scène de Denis Podalydès. Les Fourberies de Scapin s’y métamorphose en une pièce aussi drôle que noire, charge féroce contre les aînés et ode à la jubilation théâtrale, comédie italienne teintée de mélancolie, où Scapin, interprété ici par un Benjamin Lavernhe admirable, surgit des bas-fonds comme un voleur, un comédien roué dont la morale intime est sans doute infiniment plus lumineuse que celle des fils et des pères qu’il entourloupe. Passons sur l’intrigue de la farce pour rappeler que la pièce hante la mémoire collective à travers la séance de bastonnade d’un Géronte que Scapin a enfermé dans un sac, soi-disant pour le protéger, ainsi que par la réplique « mais que diable allait-il faire dans cette galère ? », que ce même Géronte – interprété ici par un Didier Sandre qui compose un vieillard aussi touchant qu’ignominieux et rend inattendue chacune de ses réactions – répète à l’envi.

Couleurs fortes et contrastées

Nous sommes à Naples, et se souvenant que Molière a écrit cette pièce tandis que la scène du Palais Royal était en travaux, Eric Ruf à la scénographie propose un terrain de jeu confiné entre des palissades et un échafaudage, un espace auquel on n’accède que par le haut. Il faut descendre ici dans un cul-de-sac, dans la caverne de la représentation, dans la tanière de Scapin, qui surgira d’encore plus bas, des dessous de la scène, comme un diable qui sort de sa boîte. Et cette plongée dans un recoin du port interlope est propice à voir les peurs des vieux bourgeois, Géronte et Argante, se déployer. Difficile d’échapper à une lecture politique de cette mise en scène. C’est ici à Naples, aux portes de l’Orient, tandis que Géronte et Argante rentrent d’un voyage (d’affaires ?), que l’étranger se fait menaçant et support de tous les fantasmes. Cette vieille génération davantage préoccupée de son argent que du bonheur de sa descendance perd pied face aux inventions de Scapin qui sait bien comment les terroriser avec ses turcs et ses spadassins noirs. Voilà comment cette pièce nous parle donc d’aujourd’hui, mais aussi des conflits de générations, de la place marginale et centrale de l’homme de théâtre, de la destinée même de Molière qui s’écrit le rôle de Scapin deux ans avant sa mort, et qu’on imagine jouir autant à rendre les coups à ses ennemis qu’à improviser en lazzi les histoires qui les effraient. D’où la violence, la jubilation, l’ensemble des couleurs fortes, contrastées et variées, de cette mise en scène éloquente, portée par l’extraordinaire Benjamin Lavernhe, et le talent partagé par l’ensemble de la troupe.

Eric Demey

A propos de l'événement

Les Fourberies de Scapin de Molière, mise en scène de Denis Podalydès
du vendredi 6 mars 2020 au mardi 10 mars 2020
Théâtre de Suresnes Jean Vilar
16 Place Stalingrad, 92150 Suresnes

Les 6, 7 et 10 mars à 21h, le 8 à 17h. Tél : 01 46 97 98 10. www.theatre-suresnes.fr

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