Emmanuel Demarcy-Mota reprend « La Grande Magie » d’Eduardo De Filippo
Depuis longtemps intéressé par le théâtre [...]
Artisan des Rencontres de Brangues après avoir dirigé le Théâtre National Populaire pendant 18 ans, Christian Schiaretti met en scène la comédie de Molière avec des musiciens du verbe formidablement accordés. Une partition de haut vol, où résonne l’acuité de la langue.
Dès la scène inaugurale paraissent toute l’amplitude, la finesse et la légèreté de cette œuvre emblématique, qui ici non seulement active comme rarement la verve comique de la partition, mais laisse voir aussi toute la complexité et la fatalité d’un tragique qui enferme les personnages dans leurs contradictions et leurs obsessions. Pourtant rien d’appuyé dans la mise en scène de Christian Schiaretti, dont on connaît la science et l’intelligence du plateau. De la maîtresse femme Philaminte au pleutre Chrysale, d’Armande « du côté de l’âme et des nobles désirs » à Henriette « du côté des sens et des grossiers plaisirs », comme le schématise cette dernière, du faux savant Trissotin au sincère prétendant Clitandre, chaque personnage est caractérisé de manière subtile, limpide, relié aux autres dans une orchestration parfaite. La famille bien dotée se divise entre celles qui admirent et se pâment devant le bel esprit, celles et ceux qui reconnaissent et fustigent l’usurpateur. Le modèle familial bat de l’aile, tandis que des désirs et peurs inavouables demeurent tapis sous la surface du langage, implacable révélateur social, outil trompeur d’émancipation ou de domination. La question de la dépense sexuelle traverse habilement la trame de la pièce, de la veine comique des fantasmes de Bélise à la cruauté du désir de possession de Trissotin. Plutôt que s’attacher à une lecture morale ou politique de l’œuvre, la mise en scène en révèle les vigoureuses aspérités, les poignants points de conflit, sans jamais choisir la moquerie facile ou la réduction des enjeux, tenant compte au contraire de la vulnérabilité humaine telle qu’elle existe, à toute époque. Moins violente et plus ambiguë que Les Précieuses Ridicules, écrite treize ans plus tôt, la pièce met en jeu le projet émancipateur de ces femmes éprises de science et philosophie qui menacent l’ordre établi et les sphères masculines du pouvoir (comme chacun sait, tout cela est obsolète…).
La vulnérabilité humaine telle qu’elle existe
« La question sera toujours : qu’est-ce que le texte va changer en moi, et non qu’est-ce que je vais changer en lui » remarque le metteur en scène. Dans un plaisir du jeu qui enchante le public, y compris des lycéens qui ont adoré la pièce, les comédiens forment un ensemble bien accordé. Les costumes finement contrastés, issus du vaste stock du Théâtre National Populaire où Christian Schiaretti fut directeur de 2002 à 2019, participent à la réussite de ce théâtre porté par d’illustres interprètes. Fringante parure que celle de l’enrubanné Trissotin, aux souliers mignons ! Au Château de Brangues où vécut Paul Claudel, Christian Schiaretti est l’artisan des Nouvelles Rencontres autour de la poésie dramatique. C’est là qu’a été initialement proposée l’an dernier cette version des Femmes savantes, avec de merveilleux comédiens dont plusieurs sont des complices de longue date du metteur en scène. Olivier Balazuc incarne brillamment Trissotin. Francine Bergé casse la baraque en Bélise, clown souriant en proie à son délire amoureux. Louise Chevillotte est parfaite en Armande, pétrie de contradictions au risque du jusqu’au-boutisme. Heidi Johansson est remarquable en Henriette, celle qui choisit l’ignorance. Philippe Dusigne est impeccable en Chrysale prisonnier de ses lâchetés. Gisèle Torterolo est d’une époustouflante énergie en Philaminte. Julien Tiphaine est un formidable Clitandre, véhément amoureux d’Henriette, honnête homme de la Cour. Damien Gouy est très convaincant en Ariste, frère de Chrysale. Juliette Gharbi est épatante en Martine, avec franc-parler et accent populaire. Benjamin Kérautret est un Vadius au taquet. Jérôme de Lignerolles (le notaire, serviteurs) complète la distribution. La pièce est un régal !
Agnès Santi
Les 18 et 19 mars à 19h30, les 20 et 21 à 20h30. Tél : 03 22 22 20 20. Durée : 2h.
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