Le Capital et son Singe
Sylvain Creuzevault et les siens auscultent [...]
La prison, le trottoir, la maladie : Françoise Courvoisier retrace la vie et les combats de Grisélidis Réal en confiant l’excellente adaptation de ses textes à trois comédiennes éblouissantes.
Jolie, parce que tendre encore, à l’aube du personnage que la vie façonnera, Grisélidis est en prison, en Allemagne. Belle, parce que les combats ont commencé de l’aguerrir et qu’être maîtresse universelle l’a faite maîtresse femme, Grisélidis est devenue péripatéticienne et écrivaine, grande connaisseuse de l’âme humaine et militante du droit des catins à faire métier de leur corps. Sublime, au crépuscule d’une existence qui a choisi la liberté comme étendard, elle se bat contre le cancer qui la met enfin sur le flanc. Allongée, souvent ; couchée, jamais. Françoise Courvoisier incarne l’étape intermédiaire, celle de la maturité politique. Elle confie à Elodie Bordas, dont la joliesse égale la fraîcheur, le temps de la prison et des choix primordiaux. Elle offre à Judith Magre l’occasion de déployer son merveilleux et hallucinant talent dans l’ultime flirt avec la mort. Sur la scène que découpent les lumières d’André Diot, les trois comédiennes prennent tour à tour la parole, dressant le portrait fascinant de la reine des putains.
Le trottoir tient le haut du pavé
Grisélidis Réal exigea qu’on inscrive sur sa tombe : « écrivaine, peintre et prostituée ». Depuis 2009, elle repose au Cimetière des Rois, à Genève, ville encore empreinte, quand elle y faisait commerce de ses charmes, du quintuple adage calviniste, que résume Zweig dans Conscience contre violence : exister, mourir, travailler, obéir et aller à l’église. Grisélidis Réal lutta toujours contre la bêtise folle et cruelle du grand enfermement : la prison, les préjugés, la relégation symbolique. Elle, qui vendait de l’amour, actualisa l’évidence que ce qui fait la différence entre une pute et une bourgeoise, c’est que l’une offre contre de l’argent ce que l’autre troque contre des avantages en nature. Pour le reste, la seule chose qui vaille est le talent, et l’artiste n’en manquait pas. Sur ce point, Françoise Courvoisier est à la hauteur de celle à laquelle elle rend hommage. Sa mise en scène orchestre élégamment la distribution de la parole entre les trois âges de la vie, et son interprétation est percutante et émouvante. De même, le jeu d’Elodie Bordas est juste, poignant et attendrissant. Et, évidemment, mais il faut redire les évidences, Judith Magre règne sur la scène, en vieille sphinge malicieuse et drôle, parvenue à un degré de maîtrise de son art qui force l’admiration.
Catherine Robert
Du jeudi au samedi à 21h ; le dimanche à 17h. Tél. : 01 42 33 42 03. Durée : 1h15.
Sylvain Creuzevault et les siens auscultent [...]