La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Les Aveugles

Les Aveugles - Critique sortie Théâtre Paris CENTQUATRE
Crédit photo : Michel Jacquelin Légende photo : Daniel Jeanneteau met en scène Les Aveugles, de Maeterlinck.

CENTQUATRE, Scène Watteau et Théâtre Jean-Vilar / de Maurice Maeterlinck / mes Daniel Jeanneteau

Publié le 24 janvier 2014 - N° 217

Avec le soutien artistique de Jean-Louis Coulloc’h et celui du magnifique travail musical et sonore d’Alain Mahé, Daniel Jeanneteau invente une mise en scène qui illumine Les Aveugles.

Plongée sensorielle dans la cécité, le spectacle de Daniel Jeanneteau donne à vivre, mieux encore qu’à voir ou entendre, le texte de Maeterlinck. La salle est emplie d’une épaisse fumée, des chaises sont disposées de façon à offrir aux spectateurs, qui les rejoignent à tâtons, différents points de vue, si tant est qu’on parvienne à percer le brouillard. On discerne d’abord le profil de son voisin, puis le regard étonné d’un autre, installé un peu plus loin, mais rien ne distingue les comédiens des spectateurs, ni le costume, ni la posture. Habile installation dans la situation des personnages du poème dramatique de Maeterlinck : douze aveugles sont assis dans un paysage incertain, sur une île, où ils ont été relégués. Le public figure les éléments de cet endroit mystérieux, et les comédiens circulent entre les chaises avec la précaution de maladroits sans repères. La création sonore d’Alain Mahé, conçue en collaboration avec l’Ircam et Sylvain Cadars, et qu’accompagne Mieko Miyazaki, offre à l’oreille ce qui manque à la vue. Cris d’oiseaux, bruits d’un clocher lointain et de la mer dangereusement  proche, bruissement des feuilles mortes se détachent sur un fond inquiétant ou surprenant, qui place le spectateur dans le même état que les aveugles, entre peur de l’inconnu et rassurance fragile des souvenirs familiers.

Amener l’irreprésentable au jour

Parabole idéaliste, la quête de ces aveugles, victimes d’apparences qu’ils ne déchiffrent pas, pourrait rappeler l’état des prisonniers de l’allégorie de la Caverne. Mais point de philosophe guidant les malhabiles sur le chemin de la vérité chez Maeterlinck : le prêtre qui a mené les aveugles jusqu’à ce lieu inconnu est mort. Le troupeau est d’autant plus perdu que le berger est défunt. Le spiritualisme pessimiste qui se dégage des discours de ces égarés est d’autant plus poignant que le seul espoir de clairvoyance est celui du bébé de la folle. L’enfant voit mais ne sait pas voir ; ceux qui ont vu un jour ne s’en souviennent plus ; ceux qui distinguent encore un peu les contours des choses confondent la chaleur du soleil et la caresse de la lune. Telle est la condition humaine. Le spectateur le comprend, rassuré sans doute de savoir que la lumière va bientôt revenir, mais évidemment renvoyé à ses propres égarements et à son intime obscurité. La scénographie joue très habilement de la spatialité des adresses, de la tessiture et du rythme des voix et de la mélodie poétique du texte. Les comédiens sont époustouflants de justesse et de précision, et forcent, par leurs talents conjugués, à une écoute recueillie. L’ensemble compose un spectacle intelligent et sensible, humble et audacieux, qui fait entendre, avec une rare acuité, le texte de Maurice Maeterlinck.

Catherine Robert

A propos de l'événement

Les Aveugles
du samedi 8 février 2014 au samedi 12 avril 2014
CENTQUATRE
5, rue Curial, 75019 Paris

Du 8 au 16 février 2014, à 20h30. Tél. : 01 53 35 50 00. La Scène Watteau, Place du Théâtre, 94130 Nogent-sur-Marne. Les 14 et 15 mars, à 20h30. Tél. : 01 48 72 94 94. Théâtre Jean-Vilar, 1 place Jean-Vilar, 94400 Vitry-sur-Seine. Les 11 et 12 avril, à 21h. Tél. : 01 55 53 10 60. Durée : 1h15. Spectacle vu au Studio-Théâtre de Vitry.
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