La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Le Voyage en Italie d’après Montaigne, mis en scène par Michel Didym

Le Voyage en Italie d’après Montaigne, mis en scène par Michel Didym - Critique sortie Théâtre Nancy La Manufacture - CDN Nancy-Lorraine
Michel Didym © Éric Didym

d’après Montaigne / mes Michel Didym

Publié le 28 février 2019 - N° 274

Michel Didym nous entraîne sur les pas de Montaigne, reconstituant son voyage en Italie accompli en 1580-81. Un voyage dans lequel éclatent son humanisme et sa tolérance.

Comment est né ce projet de porter des textes de Montaigne à la scène ?

Michel Didym : L’élément déclencheur a été les attentats de Charlie Hebdo. En discutant avec des amis, nous nous sommes rendu compte que ce qui faisait notre désir de vivre ensemble en République avait une origine : Montaigne. C’est lui qui nous a sortis du Moyen Âge, de l’obscurantisme religieux, du fanatisme. Je suis tombé sur son Voyage en Italie, qui m’a permis de voir comment cet homme a traversé une Europe à feu et à sang. Pire qu’une guerre de religion, la France connaissait une guerre civile où tout le monde tuait tout le monde, où chacun se méfiait de son voisin. Montaigne professe sa foi catholique mais il est surtout un humaniste. Avec Les Essais, il vient d’inventer un mode littéraire puissant et il se rend à Rome pour obtenir une reconnaissance du pape. Il passe par des endroits comme la Suisse, la Bavière, le Tyrol où règne la concorde entre protestants et catholiques. Quel fil conducteur magnifique : un voyage qui dure 17 mois ! Nous avons relié cet amour du voyage avec des extraits des Essais qui contiennent des richesses fabuleuses.

« Montaigne nous a sortis de l’obscurantisme religieux et du fanatisme. »

Quel voyageur était Montaigne ?

M.D. : Montaigne fait l’éloge du déplacement : il préfère l’étonnement de la nouveauté à la tranquillité ennuyeuse du voisinage. Il estime que tous les hommes sont des compatriotes : il embrasse un Allemand et un Polonais comme un Français. Souffrant de la maladie de la pierre, il passe 12 heures à cheval, allongeant les étapes car cette position le soulage. Son écriture est aussi voyageuse. Il n’établit pas de hiérarchie entre haute et basse culture. Pour lui, tout est sujet à philosophie. Il écrit : « Mon style et mon esprit vont vagabondant de même». En fait, c’est un homme qui se joue des écoles et des doctrines. Son affaire, c’est l’usage du monde. Il est surtout centré sur la tolérance et la liberté. Dix ans auparavant, il a frôlé la mort au court d’un grave accident de cheval, ce qui l’a fondamentalement modifié. Et huit ans avant son départ, il y a eu la Saint Barthélemy. Mais chaque ville de France a connu sa Saint-Barthélemy : ce massacre collectif de bourreaux ordinaires, de gens dont le bourrage de crâne était proche de celui de Daech aujourd’hui, avec une déshumanisation totale de l’adversaire. Il fallait absolument que les gens ne soient pas enterrés mais coupés en morceaux, jetés dans les fleuves, mangés par les chiens, les loups. Et le brave savetier était obligé de devenir un bourreau ordinaire pour son salut et celui de sa famille. On vient de là, de cette barbarie, et il est intéressant de mettre sur le champ du théâtre des endroits où on peut progresser philosophiquement.

Quelle pensée de Montaigne vous touche le plus ?

M.D. : Ce qui est fabuleux et tout à fait nouveau pour la philosophie moderne, c’est que Montaigne conceptualise l’Autre comme étant celui qui apportera la lumière et non comme celui qui vient manger notre pain, voler nos enfants… Cela n’a rien à voir avec la mondialisation mais avec la curiosité et l’amour de l’humanité. Depuis plus de quatre siècles, chaque génération redécouvre Montaigne et constate qu’il a une puissance et une influence considérables. Il nous aide à vivre.

Entretien réalisé par Isabelle Stibbe

A propos de l'événement

Le Voyage en Italie d’après Montaigne, mis en scène par Michel Didym
du mardi 12 mars 2019 au vendredi 22 mars 2019
La Manufacture - CDN Nancy-Lorraine
10 rue Baron Louis, 54000 Nancy

Tél. : 03 83 37 42 42. Durée estimée 1h30.

Tournée : Bordeaux (33) Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine du 27 au 30 mars 2019, Châlons-en-Champagne (51) La Comète - Scène Nationale du 2 au 3 avril 2019, Angoulême (16) Théâtre d’Angoulême - Scène Nationale du 14 au 15 mai 2019, Palaiseau (91) Théâtre de la Passerelle le 6 juin 2019, Grenoble (38) MC2: Maison de la culture - Scène nationale novembre 2019, Le Havre (76) Le Volcan, Scène Nationale du Havre octobre 2019.

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