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"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

2 mises en scène de Stanislas Nordey : Qui a tué mon père et John

2 mises en scène de Stanislas Nordey :  Qui a tué mon père et John - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Colline
Le comédien et metteur en scène Stanislas Nordey Crédit : J-L. Fernandez

Qui a tué mon père d’Edouard Louis / John de Wajdi Mouawad / mes Stanislas Nordey

Publié le 28 février 2019 - N° 274

Son actualité est double. Stanislas Nordey crée et interprète Qui a tué mon père*, d’Edouard Louis, au Théâtre national de la Colline. Et présente, au Théâtre national de Strasbourg, sa mise en scène de John, une pièce de jeunesse de Wajdi Mouawad qui sera reprise, en avril, au Théâtre des Quartiers d’Ivry.

Votre parcours de comédien et de metteur en scène est intimement lié aux écritures vivantes. Comment pourriez-vous éclairer le mouvement qui vous pousse vers les textes contemporains ?

Stanislas Nordey : J’ai toujours été ému, de façon générale, par mes contemporains. C’est vrai pour l’écriture dramatique, mais aussi pour la peinture, pour la musique… Et en ce qui concerne mon parcours d’homme de théâtre, il est vrai que j’ai toujours été ancré à la fois dans la tradition et la modernité. L’essence du théâtre est d’être contemporain, d’éclairer le monde auquel on appartient. La force d’Eschyle ou de Sophocle, par exemple, était avant tout d’écrire pour la société dans laquelle ils vivaient. Je n’ai jamais cru à la nécessité d’entretenir le patrimoine. Je pense qu’il faut toujours être dans le présent. Je peux ainsi être totalement captivé par une forme littéraire ancienne, l’écriture de Racine par exemple, mais celle-ci ne me touche pas à l’endroit où j’ai envie de faire du théâtre, de dialoguer avec les spectateurs.

Ce qui explique votre complicité avec des auteurs comme Falk Richter, Pascal Rambert, Wajdi Mouawad…

S.N. : Oui, mais ces complicités n’empêchent pas de travailler à de nouvelles rencontres, comme c’est le cas avec Edouard Louis. Contrairement à ce que pensent certains programmateurs, je ne crois pas du tout que le public aspire majoritairement à voir des pièces de Molière ou de Shakespeare, mais plutôt des écritures en prise avec le présent. C’est précisément ce qui me touche dans Qui a tué mon père et dans John. Quoique très différents, ces textes parlent tous les deux du monde d’aujourd’hui.

John a été écrit par Wajdi Mouawad en 1997. Pourquoi vous en emparer aujourd’hui ?

S.N. : Au départ, c’est un projet conçu dans le cadre du programme Education et proximité qui regroupe le Théâtre national de Strasbourg, le Théâtre national de la Colline et la Comédie de Reims. Ce programme a pour mission d’aller jouer des pièces à l’intérieur des lycées. Il faut donc créer des formes légères – sans décor, sans lumières, avec peu d’acteurs – qui sont susceptibles de servir de base de discussion avec les élèves après la représentation. Cela m’a beaucoup plu de revenir, finalement, à ce qui constitue la quintessence du théâtre : un art de la mise en scène qui se concentre sur le texte et les comédiens, même si j’ai finalement réalisé un écrin un peu plus élaboré pour présenter ce spectacle non plus dans des lycées, mais dans des théâtres. J’ai été également très content de retrouver l’écriture de Wajdi Mouawad, que j’aime beaucoup. John est une pièce de jeunesse, dans laquelle on peut retrouver toute la sève de son théâtre. Le personnage de John (ndlr, un adolescent solitaire sur le point de mettre fin à ses jours) est en quelque sorte la matrice de tous les jeunes hommes et de toutes les jeunes femmes en colère que l’on retrouve dans les pièces qu’il a écrites par la suite. Mais cette matrice est d’une noirceur extrême. Il n’y a pas beaucoup de consolation dans John. C’est une pièce totalement désespérée, que j’ai voulu mettre en scène comme un diamant brut.

« Contrairement à John, qui est un texte de colère, Qui a tué mon Père est un texte de combat. »

Qui a tué mon père est également un texte grave…

S.N. : Oui, ce texte comporte beaucoup de violence, mais je trouve qu’il est aussi traversé par une grande lumière. C’est d’ailleurs l’une des choses qui me plaît beaucoup. Les deux premiers textes d’Edouard Louis (ndlr, Pour en finir avec Eddy Bellegueule et Histoire de la violence, publiés aux Editions du Seuil) étaient, eux, vraiment très noirs. Alors que Qui a tué mon père est pour moi avant tout, pour reprendre le titre du film de Jean Genet, un « chant d’amour» au père. Bien sûr, il y a le constat de tout ce qui n’a pas pu avoir lieu entre eux deux, de tout ce qui n’a pas pu être dit, mais cette lettre du fils à son père finit par être écrite. Il y a donc une forme de résolution, quelque chose qui s’ouvre.

 Il s’agit également d’un texte politique, qui fait le constat des conséquences concrètes, sur le corps d’un homme, des décisions prises par nos dirigeants politiques…

S.N. : Absolument. C’est aussi ce que j’aime chez Edouard Louis. Comme il le dit lui-même, ce qu’il écrit « ne répond pas aux exigences de la littérature, mais à celles de la nécessité et de l’urgence, à celles du feu». Il finit Qui a tué mon père en disant que ce qu’il nous faudrait, en fait, c’est une bonne révolution… Contrairement à John, qui est un texte de colère, Qui a tué mon Père est un texte de combat. Edouard Louis fait apparaître l’invisible, son père faisant partie des invisibles de notre société. C’est aussi l’une des raisons qui fait que je trouve ce texte lumineux.

 Qui a tué mon père est le fruit d’une invitation, que vous avez lancée à Edouard Louis, à écrire une œuvre dramatique pour le Théâtre national de Strasbourg. Quelle a été votre première réaction en découvrant ce texte ?

S.N. : Déjà, ce qui est bon signe, j’ai eu envie de le dire. J’ai aimé ces mots destinés à la scène. C’est la première fois qu’Edouard Louis écrit pour le théâtre. Je connais bien son écriture. J’ai tout de suite vu ce qu’il avait changé du point de vue de l’oralité par rapport à ses deux premiers textes. C’est donc la langue qui m’a tout de suite séduit. Je procède toujours de la sorte. Je ne choisis jamais de mettre en scène des sujets, mais des langues qui me saisissent, qui me touchent. Et puis, souvent, les textes que j’aime sont à la frontière de l’intime et du politique. C’est ce que j’ai envie de faire entendre sur un plateau de théâtre. Qui a tué mon père se situe vraiment au cœur de cette frontière-là.

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

2 mises en scène de Stanislas Nordey : Qui a tué mon père et John
du mardi 12 mars 2019 au mercredi 3 avril 2019
Théâtre de la Colline
15 rue Malte-Brun, 75020 Paris

(Qui a tué mon père). Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30, le dimanche à 15h30. Durée de la représentation : 1h40. Tél. : 01 44 62 52 52. www.colline.fr

Egalement du 2 au 15 mai 2019 au Théâtre national de Strasbourg, du 9 au 11 octobre 2019 à la Comédie de Béthune, du 25 au 28 février 2020 au Théâtre Vidy – Lausanne, le 13 mai 2020 au Théâtre de Villefranche.

 

Théâtre national de Strasbourg, 1 avenue de la Marseillaise, 67000 Strasbourg (John). Les 18 au 29 mars 2019. Du lundi au samedi à 20h. Durée de la représentation : 1h. Tél. : 03 88 24 88 24. www.tns.fr.

Egalement du 8 au 19 avril 2019 au Théâtre des Quartiers d'Ivry, du 4 au 8 février 2020 à la Scène Nationale de Vandœuvre-lès-Nancy.

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