La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le Problème

Le Problème - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : © Frédéric Iovino Légende photo : Emmanuelle Devos quitte Jacques Bonnaffé dans Le Problème.

Publié le 10 février 2011 - N° 185

Arnaud Meunier met en scène Le Problème, de François Bégaudeau. De la banalité d’une séparation, efficacement croquée par le dramaturge, sourd la force tranquille d’une héroïne lumineuse.

Une femme quitte mari et enfants pour s’offrir une seconde chance amoureuse : François Bégaudeau fait le récit en temps réel d’un drame très ordinaire… Elle a laissé une lettre sur la table de la cuisine le matin et revient, le soir, pour en parler une heure et repartir vers celui avec lequel elle a choisi de vivre. On est entre gens policés, éduqués et courtois, et la raison du départ d’Annie se réduit à l’essentiel : la tendresse, le plaisir sexuel et l’amour, auxquels elle refuse de renoncer. La parole circule dans cette famille sympathique et émancipée. Rien ne viendrait perturber l’ordre impeccable d’une vie confortable et rangée (que suggère habilement la scénographie simple et élégante de Damien Caille-Perret) : on pourrait vivre là sans peine, si vivre sans aimer était vivable… Les enfants sont intelligents et beaux, le mari est gentil et compréhensif, la situation matérielle est assurée, et le seul véritable souci est de parvenir à aider la cadette à construire le plan de sa dissertation de philosophie… En choisissant d’épurer ainsi les conditions du drame, François Bégaudeau prend le risque de l’inconsistance, et on pourrait être vite agacé par les déboires de cette quarantenaire gâtée qui, comblée quant à l’essentiel, ose le caprice du superflu, alors qu’elle a tout pour être heureuse…
 
Un texte adroit servi par des comédiens justes
 
Mais, habilement, François Bégaudeau réussit à montrer ses enjeux essentiels, comme en transparence, derrière l’apparence lisse de cette discussion. La vie d’une femme ne se limite pas au rôle d’épouse : elle peut revendiquer la jouissance et le plaisir même à un âge qui la voudrait rangée. On peut résister à l’égoïsme pervers des enfants et leur faire remarquer que le nid qu’ils quitteront bientôt ne doit pas se transformer en temple entretenu par une vestale. La déliquescence de l’amour devenu habitude et des rapports sexuels devenus obligation mensuelle peut faire regretter la passion. On peut lucidement faire grief à l’amant fringant d’être devenu un mari prévisible. Bégaudeau dit tout cela simplement, comme les choses arrivent dans la vie, sans conscientisation théorique élaborée, mais dans la quotidienne évidence que le regret est le revers du renoncement. Ce pourquoi Annie part, sans ressentiment, mais avec la conviction qu’elle se doit à elle-même autant qu’aux autres. Si le dramaturge est habile en ses effets verbaux, si Arnaud Meunier est sobrement efficace dans sa mise en scène, si Jacques Bonnaffé, Anaïs Demoustier et Alexandre Lecroc sont authentiquement justes dans leurs personnages, c’est à Emmanuelle Devos que reviennent les lauriers les plus mérités. En effet, la comédienne, qui a l’âge de son rôle et la beauté mature de cette femme qui se sait encore désirable, joue de la fragilité de son personnage en exposant la sienne. Dans une robe un peu trop rouge, un peu trop courte, sur des talons hauts qui chaloupent le vertige d’une Annie prête à mettre les voiles, avec cette voix où l’assurance tranquille se colore d’accents enfantins, dans la maladresse d’une cigarette de contenance et d’une main qui ose encore esquisser des caresses, elle suggère avec élégance et précision le mélange de force et de fragilité de cette femme. Bouleversante comme on l’est toujours quand on aime, et rayonnante comme on l’est souvent quand on est dans le vrai, Emmanuelle Devos réussit une composition sincère et émouvante qui offre à cette heure de décision une intensité décisive.
 
Catherine Robert


Le Problème, de François Bégaudeau ; mise en scène d’Arnaud Meunier. Du 2 au 10 février 2011 au Théâtre National de Nice. Les 15 et 16 février au Théâtre d’Angoulême. Du 23 février au 3 avril, à 21h ; le dimanche à 15h30 ; relâche le lundi et le 27 février. Théâtre du Rond-Point, 2bis, avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris. Réservations au 01 44 95 98 21. Reprise du 7 avril au 15 mai au Théâtre Marigny à Paris. Durée : 1h. Spectacle créé et vu au Théâtre du Nord, à Lille.

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