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Théâtre - Critique

Le Munstrum Théâtre crée « Makbeth » d’après la tragédie shakespearienne : rêverie macabre et spectacle total

Le Munstrum Théâtre crée « Makbeth » d’après la tragédie shakespearienne : rêverie macabre et spectacle total - Critique sortie Théâtre Montreuil Théâtre Public de Montreuil
Jean-Louis Fernandez - Makbeth par le Munstrum

Théâtre Public de Montreuil / une création du Munstrum Théâtre / d’après William Shakespeare / mise en scène Louis Arene

Publié le 18 avril 2025 - N° 332

Le Munstrum, talentueuse compagnie co-fondée par Louis Arene et Lionel Lingelser, réinvente la tragédie shakespearienne, condensée en une insatiable et outrancière spirale du meurtre. Un spectacle total, qui expose avec force le mal et ses ravages. Catharsis ou pas ? C’est la question !

Puissamment spectaculaire, l’esthétique du Munstrum crée des rituels hors normes, mettant en jeu un corps performatif qui raconte, qui se transforme. On se souvient de leur mise en scène tranchante du texte Le Chien, la Nuit et le Couteau de Marius von Mayenburg (2017), de la transe joyeusement démesurée 40° Sous zéro (2019) d’après Copi, de la saisissante dystopie animalière Zypher Z (2021), du poignant Les Possédés d’Illfurth (2021) de Lionel Lingelser. Dans ces pièces émergent la conscience d’un monde en plein chaos, le désir aussi de faire place à la joie. Il n’est donc pas incongru que le Munstrum, dont les pièces souvent rejoignent les thématiques du monstre – face à nous et en nous –, de la métamorphose, du basculement d’un monde, affronte aujourd’hui l’un des poèmes shakespeariens les plus sombres, où un capitaine qui se rêve roi s’enferme dans son ambition jusqu’à se faire tyran sanguinaire. La partition shakespearienne, réécrite par Lucas Samain en collaboration avec Louis Arene, a été resserrée et traduite en un spectacle total qui s’éloigne du contexte historique et des canons habituels du théâtre. Ici le texte n’est qu’un élément parmi d’autres. Tous les outils théâtraux sont mobilisés – de la machinerie sophistiquée aux lumières aiguisées, du son contrasté aux costumes extravagants, sans oublier le masque seconde peau, révélateur cher au travail du Munstrum. Et au sein de ce jeu démultiplié le corps en mouvement s’affirme dans tous ses états. Celui du roi finit littéralement nu comme un ver. Leur désir de monter Makbeth (avec un k) est né « car la douleur de ce monde est insupportable ». Dans une veine crue et crépusculaire brouillée par l’irruption de la bouffonnerie, la pièce commence sur une lande minérale, champ de bataille avec soldats l’épée à la main, empli de bruit et de fureur. Les tripes s’étalent, le sang gicle. Tout au long de la pièce, variation cauchemardesque autour de la tragédie initiale, le meurtre règne, faisant place par petites touches  à la modernité et au grotesque.

Le mal se répand

Le roi ventru Duncan est ainsi décoré d’une cape avec pompons et d’un sceptre en forme de tringle à rideaux. Voilà même qu’au cœur d’un combat avec épées il nous semble voir un club de golf… Assailli par le doute et la peur, plutôt naïf, Makbeth n’a rien d’un stratège. Louis Arene endosse le rôle avec maestria. Avec sa crinoline qui recycle une tente de camping, Lady Makbeth, acolyte zélée du Roi, est incarnée par l’excellent Lionel Lingelser. Sophie Botte, Delphine Cottu, Olivia Dalric, Anthony Martine, François Praud et Erwan Tarlet excellent. Ce sont tous et toutes des athlètes  de la scène. Quant aux sorcières, elles sont devenues des créatures organiques noires et visqueuses, plastiquement impressionnantes, auxquelles fait écho la bile noire qui s’échappe des lèvres des protagonistes. Nul besoin de prophéties, le mal est là, à l’intérieur, prêt à se répandre, hantant les esprits et corrompant les sociétés. Un étonnant personnage de Fou, celui qui souvent dit vrai, est là pour jouer et pour tuer. L’habituelle tension entre le rire et l’effroi qu’active le Munstrum laisse place ici à une macabre rêverie sur le mal, où l’outrance peut paraître trop appuyée, adossée à une spirale sanglante. Comment représenter, mettre à distance, ouvrir des voies autres que la destruction ? L’époque comme l’art est en quête d’humanité. Et face à l’invisible avenir des gestes patiemment travaillés comme ceux du Munstrum s’y attellent de toute leur force d’artiste.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Makbeth
du mardi 29 avril 2025 au jeudi 15 mai 2025
Théâtre Public de Montreuil
10 place Jean-Jaurès, 93000 Montreuil

du lundi au vendredi à 20h, samedi à 18h. Tél : 01 48 70 48 90. Durée : 2h15. Spectacle vu aux Célestins, Théâtre de Lyon.

En tournée :

22 et 23 mai 2025 - La Filature, scène nationale de Mulhouse

10 au 13 juin 2025 - Théâtre du Nord, CDN de Lille

SAISON 2025-2026 (en cours)

5 au 7 novembre 2025 - Théâtre 71 - scène nationale de Malakoff

12 au 14 novembre 2025 - Théâtre Varia, Bruxelles

20 novembre au 13 décembre 2025 - Théâtre du Rond-Point - Paris

5 et 6 mars 2026 - Le Carreau - Scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan

11 et 12 mars 2026 - MC2: Grenoble

27 au 28 mars 2026 - Domaine d'Ô - Montpellier

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